mardi 16 décembre 2014

Pas voluptueux


   "A noi venia la creatura bella
biancovestito e nella faccia quale
par tremolando mattutina stella."
Dante, La divina commedia. [1]                                 
                                                                    § § §
 
    "Tout d'un coup, sur le sable de l'allée, tardive, alentie et luxuriante comme la plus belle fleur et qui ne s'ouvrirait qu'à midi, Mme Swann apparaissait, épanouissant autour d'elle une toilette toujours différente mais que je me rappelle surtout mauve; puis elle hissait et déployait sur un long pédoncule, au moment de sa plus complète irradiation, le pavillon de soie d'une large ombrelle de la même nuance que l'effeuillaison des pétales de sa robe. Toute une suite l'environnait; Swann, quatre ou cinq hommes de club qui étaient venus la voir le matin chez elle ou qu'elle avait rencontrés: et leur noire ou grise agglomération obéissante , exécutant les mouvements presque mécaniques d'un cadre inerte autour d’Odette donnait l'air à cette femme qui seule avait de l'intensité dans les yeux, de regarder devant elle, d'entre tous ces hommes, comme d'une fenêtre dont elle se fût approchée, et la faisait surgir, frêle, sans crainte, dans la nudité de ses tendres couleurs, comme l'apparition d'un être d'une espèce différente, d'une race inconnue, et d'une puissance presque guerrière, grâce à quoi elle compensait à elle seule sa multiple escorte."
                      Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, folio classique p.205




  

    "J’étais plongé dans une de ces rêveries profondes qui saisissent tout le monde, même un homme frivole, au sein des fêtes les plus tumultueuses. Minuit venait de sonner à l’horloge de l’Élysée-Bourbon. Assis dans l’embrasure d’une fenêtre, et caché sous les plis onduleux d’un rideau de moire, je pouvais contempler à mon aise le jardin de l’hôtel où je passais la soirée. Les arbres, imparfaitement couverts de neige, se détachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine blanchi par la lune.Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image gigantesque de la fameuse danse des morts. Puis, en me retournant de l’autre côté, je pouvais admirer la danse des vivants! un salon splendide, aux parois d’argent et d’or, aux lustres étincelants, brillant de bougies. Là, fourmillaient, s’agitaient et papillonnaient les plus jolies femmes de Paris, les plus riches, les mieux titrées, éclatantes, pompeuses, éblouissantes de diamants! des fleurs sur la tête, sur le sein, dans les cheveux, semées sur les robes, ou en guirlandes à leurs pieds. C’était de légers frémissements de joie, des pas voluptueux qui faisaient rouler les dentelles, les blondes, la mousseline autour de leurs flancs délicats. Quelques regards trop vifs perçaient çà et là, éclipsaient les lumières, le feu des diamants, et animaient encore des cœurs trop ardents. On surprenait aussi des airs de tête significatifs pour les amants, et des attitudes négatives pour les maris."
   H. de Balzac, Sarrasine, la Pléiade, t.VI p.1043





Photos :
 - à gauche :  "Sidewalk Catwalk", exposition éphémère,  New York, 2010. Nicole Miller, styliste.
 - à droite : Les Modes in Les Annales, n°1522 du 25 août 1912

Liens:

 - H. de Balzac, à propos de Sarrasine : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sarrasine
 - lire en ligne Sarrasine : www.leboucher.com/pdf/balzac/b_bal_s.pdf
 - New York : http://www.luxsure.fr/2010/08/12/sidewalk-catwalk-ou-lexposition-ephemere-a-new-york/



[1]       " Vers nous venait la belle créature
              vêtue de blanc et le visage pareil
              à la tremblante étoile du matin." 

Dante, La divine comédie, Le Purgatoire, chant XII , 88-90. Trad. J. Risset, GF-Flammarion, éd. bilingue, vol. II, p.112-113


1 commentaire:

  1. Très bien, ce "pas voluptueux"... Et ce parallèle Proust/Balzac... Alors, il faut s'attendre à trouver un nouveau pas dans Zola, l'ambitieux épigone, et certainement dans Baudelaire ?

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