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mercredi 4 mars 2015

HIGHWAY TO HELL






"Als Hitler die Autobahnen bauen ließ, mußten in den deutschen Schulen Aufsätze über das große Projekt angefertigt werden. [...]"
   "Quand Hitler fit construire les autoroutes, dans les écoles allemandes il fallut faire des rédactions sur ce grand projet. Pour les meilleurs, des prix étaient prévus. Je dis cela, au retour de l'école, à mon père. Il dit : Tu n'es pas obligé d'avoir un prix; deux heures plus tard, cependant : Tu dois faire un effort. Il se tenait devant la cuisinière, cassa un œuf dans la poêle puis, déjà hésitant, un deuxième et enfin, après l'avoir longuement regardé et tenu dans la main, le troisième. Ça va faire un bon repas, dit-il. Nous mangeâmes et mon père dit : Tu dois écrire que tu es content que Hitler construise les autoroutes. Comme ça, mon père qui a été si longtemps sans travail retrouvera sûrement du travail *. Voilà ce que tu dois écrire. Après le repas, il m'aida à faire la rédaction ainsi. Puis j'allai jouer. "

      * dès le lendemain de la nomination d'Hitler en tant que chancelier le 30 janvier 1933, le père, fonctionnaire du parti social-démocrate, a été arrêté et envoyé en camp. Libéré un an après, il est interdit de séjour dans sa commune et sans travail.
    Heiner Müller, Le Père, 1958, in Hamlet-Machine, trad. J. Jourdheuil et H. Schwarzinger, Editions de Minuit, , &7 p.14.



" Derrière la banalité de notre présent, l'Histoire ... "


La mort de Staline *

   " Mars 1953. Staline est mort. Nous le savons depuis hier soir. La tristesse est obligatoire à l'internat. Nous nous couchons sans nous parler. Le matin nous demandons:
   - Est-ce un jour de congé?
   La surveillante dit:
   - Non. Vous allez à l'école comme d'habitude. Mais ne chantez pas.
   Nous allons à l'école comme d'habitude, en rang, mais sans chanter. Sur les édifices flottent des drapeaux rouges et des drapeaux noirs.
   Notre professeur de classe nous attend. Il dit:
   - A onze heures, la cloche de l'école sonnera. Vous vous lèverez pour observer une minute de silence. En attendant, vous écrirez une composition dont le sujet sera: "La mort de Staline". Dans cette composition, vous écrirez tout ce que le camarade Staline était pour vous. Un père d'abord, un phare lumineux ensuite.
   Une des élèves éclate en sanglots. Le professeur dit:
   - Maîtrisez-vous, mademoiselle. Nous sommes tous éprouvés au-delà de toute mesure. Mais essayons de dominer notre douleur.Vos compositions ne seront pas notées, vu l'état de choc dans lequel vous vous trouvez en ce moment.
   Nous écrivons. Le professeur se promène dans la classe, les mains derrière le dos.
   Une cloche sonne, nous nous mettons debout. Le professeur regarde sa montre. Nous attendons. Les sirènes de la ville devraient sonner, elles aussi. Une fille, près de la fenêtre, regarde dans la rue et dit:
   - C'est seulement la cloche pour les poubelles.
   Nous nous rasseyons, prises d'un fou rire."

   * la scène se passe en Hongrie
    Agota Kristof, L'Analphabète, Récit autobiographique, éditions ZOE, pp. 25-26.
 
  


 Liens :
  - sur Heiner Müller :  http://fr.wikipedia.org/wiki/Heiner_M%C3%BCller
  - en allemand, lisible en ligne, ce paragraphe 7 extrait de l'ouvrage de Hendrik Werner, Im Namen des Verrats : Heiner Müllers Gedächtnis der Texte, p.31 :


   « Als Hitler die Autobahnen bauen ließ, mussten in den deutschen Schulen Aufsätze überdas große Projekt angefertigt werden. Für die besten waren Preise ausgesetzt. Ich sagte das, aus der Schule kommend, meinem Vater. Er sagte : Du musst keinen Preis haben, zwei Stunden später jedoch: Du musst dir Mühe geben. Er stand am Herd, schlug ein Ei in die Pfanne, dann schon zögernd, ein zweites und schließlich, nach langem Ansehn und InderHandhalten, das dritte. Das gibt ein gutes Essen, sagte er. Wir aßen und mein Vater sagte: Du musst schreiben, du bist froh, dass Hitler die Autobahnen baut.      Da bekommt bestimmt auch mein Vater wieder Arbeit, der so lange arbeitslos war. Das musst du schreiben. Nach dem Essen half er mir, den Aufsatz zu schreiben. Dann ging ich spielen.»
 
URL : https://books.google.fr/books?id=vpA7fSdqZf8C&pg=PA7&lpg=PA7&dq=Werner,+Hendrik:+Im+Namen+des+Verrats.+Heiner+M%C3%BCllers+Ged%C3%A4chtnis+der+Texte&source=bl&ots=NtpOkbX5rD&sig=Qod2U4kf_UcgihLCT-TJXCWv08I&hl=fr&sa=X&ei=1-UsVdvQH4jfywO5qIEY&ved=0CDQQ6AEwAg#v=onepage&q=Werner%2C%20Hendrik%3A%20Im%20Namen%20des%20Verrats.%20Heiner%20M%C3%BCllers%20Ged%C3%A4chtnis%20der%20Texte&f=false

     - sur Agota Kristof  ( 1935 à Csikvànd, Hongrie - 2011 à Neuchâtel) qui a écrit la plus grande partie de son œuvre en français : http://fr.wikipedia.org/wiki/Agota_Kristof
    - Théâtre Les Déchargeurs, Paris; du 1er octobre au 22 novembre 2014, Catherine Salviat, sociétaire honoraire de la Comédie française, interprétait ce texte d'Agota Kristof  dans une mise en scène de Nabil El Azan assisté de Marie-Noëlle Bordeaux. Voir interview et extraits : https://vimeo.com/111830129
   - légende de la 2ième photo; trad. de l'allemand "Hinten der Banalität unserer Gegenwart, die Geschichte", phrase extraite de l'ouvrage collectif , non référencé en ligne, Des pires empires, éd. Klar, 1993.


 

mardi 3 mars 2015

Derrière la porte, l'horreur d'une métamorphose








    " [...] igen, és egy reggel óvatlanul benyitottam a hálószobába, majd, nem hangosan ugyan, csak a bensőmben sikoltva máris kifordultam onnan, mert valami iszonyút láttam, ami úgy hatott rám, mint egy obszcenitás, melyre, már csupán a koromnál fogva is, nem érezhettem magam fölkészültnek: egy kopasz nő ült a tükör előtt, piros pongyolában."
 

   «  […] oui, et un matin, j’ouvris imprudemment la porte de la chambre à coucher, et immédiatement, en silence, ne poussant un cri que dans mon for intérieur, je me détournai, parce que j’avais vu quelque chose d’horrible qui m’avait fait l’effet d’une obscénité à laquelle, rien qu’en considérant mon âge, je ne pouvais pas me sentir préparé : une femme chauve en robe de chambre rouge assise devant son miroir. Et il fallut un certain temps à ma tête effrayée et troublée pour reconnaître  en cette femme ma tante , que d’ailleurs j’avais l’habitude de voir comme je la vis tout de suite après cet incident : avec des mèches de cheveux étrangement fines et rigides, d’un brun tirant sur le roux ; par la suite, je n’osais piper mot, et encore moins poser des questions, j’espérais de toutes mes forces qu’elle n’avait peut-être pas vu que je l’avais vue, je vivais dans l’atmosphère lourde et obscure de l’horreur, des secrets, la tante déshabillée, sa tête luisante rappelant celle d’un mannequin dans une vitrine éveillait en moi l’image d’un cadavre ou celle de la grande prostituée qui, la nuit, prenait possession de sa chambre ; et ce ne fut que beaucoup plus tard, une fois rentré à la maison , que j’osais effleurer la question de savoir si j’avais bien vu ce que j’avais vu, parce que moi-même j’avais commencé à en douter ; et le visage de mon père ne me rassura pas le moins du monde parce que, je ne sais pas pourquoi, son rire me sembla frivole, frivole et destructeur, même s’il n’était qu’autodestructeur, bien que ce genre de mots – car j’étais un enfant –  ne me fussent pas encore familiers, je trouvais son rire tout simplement stupide, parce qu’il n’avait pas compris ma frayeur, mon horreur, la première métamorphose spectaculaire de ma vie : à savoir qu’à la place de la tante que je connaissais, une femme chauve en robe de chambre rouge était assise devant le miroir […] »

   Imre Kertész, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, traduit du hongrois par N. Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, Babel, p.30 et 31





Liens :
 -  à propos d'Imre Kertész : http://fr.wikipedia.org/wiki/Imre_Kert%C3%A9sz
  - Version hongroise en ligne de Kaddis a meg nem születtet gyermekért : http://dia.pool.pim.hu/html/muvek/KERTESZ/kertesz00005_kv.html
 - interview d'Imre Kertész à propos de la Hongrie : http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/02/09/imre-kertesz-la-hongrie-est-une-fatalite_1640790_3260.html