vendredi 29 septembre 2017

CHATS CHATS CHATS

A mon frère



LES CHATS

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres ;
L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques,
Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,
Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
                                Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et idéal, L'intégrale, Seuil, p.81


Le Chat noir. Exposition Bohêmes, Paris, 2013
           
            " N°114. Avril 1972

 3. Les Trois Chats

    Après un long voyage, peut-être, je reviens à Blevy (ou bien est-ce Dampierre ?). Toute ma famille est là. Mon chat dort dans un coin de la pièce. Je suis très étonné de voir un deuxième chat (beaucoup plus petit et tigré) dans un autre coin de la pièce. Je vais m’asseoir, et je marche sur un troisième chat ; celui-là est beaucoup plus gros. Je ne crois pas à l’existence de ce troisième chat – mais, voyons, c’est impossible ! – mais il me bondit au visage et me griffe."

   Georges Perec, La boutique obscure. 124 rêves. Denoël
 



LES CHATS D’ULTHAR

   On raconte que dans Ulthar, de l’autre côté de la rivière Skaï, aucun homme n’a droit de tuer un chat. J’en suis d’autant plus convaincu que mes yeux se posent sur celui qui est assis là, ronronnant près du feu. Le chat est un animal mystérieux. Il devine et voit des choses que les humains ne perçoivent pas. N’est-il pas l’âme de l’antique Egypte et le sujet des contes oubliés de Meroe et Ophir? De plus, il est apparenté au Seigneur de la Jungle, et comme tel, il est l’héritier des secrets de la sombre et inquiétante Afrique. Le Sphinx est son cousin. Il parle le même langage, mais il est plus ancien que lui et il se souvient de ce que le Sphinx a oublié.
   A Ulthar, longtemps avant que l’on interdît d’abattre les chats, il y avait un vieux paysan et sa femme qui prenaient plaisir à prendre au piège, pour les tuer, les chats de leurs voisins. Pourquoi se livraient-ils à ce massacre? Je l’ignore. Beaucoup de gens ont les chats en horreur, et ils ne supportent pas de les voir se glisser furtivement dans les cours et les jardins après le crépuscule. Peut-être ce couple était-il du nombre, toujours est-il qu’ils tuaient tous les chats qui s’approchaient de leur maison. D’après les cris que l’on percevait la nuit, de nombreux villageois pensaient que le couple devait avoir un procédé bien particulier pour se défaire des animaux. Mais ils évitaient soigneusement d’en parler avec le vieil homme et sa femme. Il faut dire que l’expression de leurs deux visages ridés était effrayante. En vérité, si les propriétaires de chats haïssaient ces étranges habitants d’une minuscule chaumière, dissimulée sous des chênes centenaires, der­rière une cour abandonnée, ils les craignaient plus encore. Et au lieu de les traiter comme des assassins, ils se contentaient d’empêcher leurs animaux favoris de s’approcher de la maison maudite.
   H. P. Lovecraft, in « Le monde du rêve », trad. Paule Pérez, Robert Laffont, Bouquins, t. III, p.32

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Références et liens :


mardi 19 septembre 2017

Je suis belle






LA BEAUTÉ

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!                                                                                                                                    Baudelaire, Les Fleurs du mal, in O.C., l’Intégrale, éd. du Seuil, p.53













Érotisme de la mémoire

Cuisses de Diane
Ventre de Diane
Seins de Diane
Yeux de Diane

Le petit jour point dans la forêt où tout est orange !
Sauf le tronc marqué de craie des bouleaux.
                      
    C’est là près de cet arbre aux feuilles vieillissant avant la saison que j’ai  rencontré Diane dans une attitude naturelle mais rarement décrite dans les poèmes.
     Les fesses ovales se dessinaient entre le désordre du linge et le vert gris tendre de l’herbe
Dans un sentier voisin le pas d’un garde retentit
Il passa sans qu’on le vît.
Tandis que Diane se dissolvait dans le jour,                                                         comme le croissant de la lune.
A cet endroit de la forêt il y a les débris d’une bouteille
Un vieux livre que les pluies et les rosées renvoient au terreau
Une plume d’oiseau
Un morceau de silex
Une empreinte de pas profondément marquée dans la terre
Et quelqu’un, peut-être, passera là au jour et à l’heure de ma mort
Ô vie, enivrante vie
Aveuglante et bienfaisante.

   Robert Desnos, Les portes battantes, in Œuvres, Quarto Gallimard, p.809

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         Liens
 ¤ Peu de chose à propos de Denis Gélin, auteur de la sculpture de pierre (photos de face et de dos ici) sise à la Commanderie Saint-Jean, Corbeil-Essonnes, sinon ceci :
Denis Gélin (1896-1979)
Né à Château-Landon, en Seine-et-Marne, le 31 janvier1896.
Décédé à Vaux-le-Pénil, en Seine-et-Marne, le 7 février 1979