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mardi 3 mars 2015

Derrière la porte, l'horreur d'une métamorphose








    " [...] igen, és egy reggel óvatlanul benyitottam a hálószobába, majd, nem hangosan ugyan, csak a bensőmben sikoltva máris kifordultam onnan, mert valami iszonyút láttam, ami úgy hatott rám, mint egy obszcenitás, melyre, már csupán a koromnál fogva is, nem érezhettem magam fölkészültnek: egy kopasz nő ült a tükör előtt, piros pongyolában."
 

   «  […] oui, et un matin, j’ouvris imprudemment la porte de la chambre à coucher, et immédiatement, en silence, ne poussant un cri que dans mon for intérieur, je me détournai, parce que j’avais vu quelque chose d’horrible qui m’avait fait l’effet d’une obscénité à laquelle, rien qu’en considérant mon âge, je ne pouvais pas me sentir préparé : une femme chauve en robe de chambre rouge assise devant son miroir. Et il fallut un certain temps à ma tête effrayée et troublée pour reconnaître  en cette femme ma tante , que d’ailleurs j’avais l’habitude de voir comme je la vis tout de suite après cet incident : avec des mèches de cheveux étrangement fines et rigides, d’un brun tirant sur le roux ; par la suite, je n’osais piper mot, et encore moins poser des questions, j’espérais de toutes mes forces qu’elle n’avait peut-être pas vu que je l’avais vue, je vivais dans l’atmosphère lourde et obscure de l’horreur, des secrets, la tante déshabillée, sa tête luisante rappelant celle d’un mannequin dans une vitrine éveillait en moi l’image d’un cadavre ou celle de la grande prostituée qui, la nuit, prenait possession de sa chambre ; et ce ne fut que beaucoup plus tard, une fois rentré à la maison , que j’osais effleurer la question de savoir si j’avais bien vu ce que j’avais vu, parce que moi-même j’avais commencé à en douter ; et le visage de mon père ne me rassura pas le moins du monde parce que, je ne sais pas pourquoi, son rire me sembla frivole, frivole et destructeur, même s’il n’était qu’autodestructeur, bien que ce genre de mots – car j’étais un enfant –  ne me fussent pas encore familiers, je trouvais son rire tout simplement stupide, parce qu’il n’avait pas compris ma frayeur, mon horreur, la première métamorphose spectaculaire de ma vie : à savoir qu’à la place de la tante que je connaissais, une femme chauve en robe de chambre rouge était assise devant le miroir […] »

   Imre Kertész, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, traduit du hongrois par N. Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, Babel, p.30 et 31





Liens :
 -  à propos d'Imre Kertész : http://fr.wikipedia.org/wiki/Imre_Kert%C3%A9sz
  - Version hongroise en ligne de Kaddis a meg nem születtet gyermekért : http://dia.pool.pim.hu/html/muvek/KERTESZ/kertesz00005_kv.html
 - interview d'Imre Kertész à propos de la Hongrie : http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/02/09/imre-kertesz-la-hongrie-est-une-fatalite_1640790_3260.html

mardi 2 décembre 2014

Blason

 

 
"Un hémisphère dans une chevelure"

      " Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.
      Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.
      Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
      Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.
      Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
      Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.
      Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs."
  
           Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris, XVII, Un hémisphère dans une chevelure, L.P. 1966 p. 51