samedi 23 avril 2016

"Ne cessez point vos danses ..."

  • "Mr. Bojangles, dance !" *




I heard someone ask him "Please,
Please,
Come back and dance, dance, dance, please dance"


  • "Allez Tatiana, allez viens, on danse"

   Lol V. Stein est née ici, à S. Tahla, et elle y a vécu une grande partie de sa jeunesse. Son père était professeur à l'Université. Elle a un frère plus âgé qu'elle de neuf ans je ne l'ai jamais vu on dit qu'il vit à Paris. Ses parents sont morts. 
 Je n'ai rien entendu dire sur l'enfance de Lol V. Stein qui m'ait frappé, même par Tatiana Karl, sa meilleure amie durant leurs années de collège.
   Elles dansaient toutes les deux, le jeudi, dans le préau vide. Elles ne voulaient pas sortir en rangs avec les autres, elles préféraient rester au collège. Elles, on les laissait faire, dit Tatiana, elles étaient charmantes, elles savaient mieux que les autres demander cette faveur, on la leur accordait. On danse, Tatiana? Une radio dans un immeuble voisin jouait des danses démodées une émission-souvenir dont elles se contentaient. Les surveillantes envolées, seules dans le grand préau où ce jour-là, entre les danses, on entendait le bruit des rues, allez Tatiana, allez viens, on danse Tatiana, viens. C'est ce que je sais.
   Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Gallimard, Folio n°810, p.11





                                                    Chanson à danser

 

    Un soir, Zarathoustra traversait  la forêt avec ses disciples ; et comme il cherchait une source, voici qu’il arriva dans une verte prairie close d’arbres et de buissons. Des jeunes filles dansaient entre elles. Dès qu’elles eurent reconnu Zarathoustra, elles cessèrent leurs danses ; mais Zarathoustra s’approcha d’elles d’un air amical et leur dit ces paroles :
« Ne cessez point vos danses, charmantes fillettes ! Ce n’est point un trouble-fête au regard mauvais qui vient vers vous, ce n’est pas l’ennemi des jeunes filles !
   Je suis l’avocat de Dieu auprès du diable. Le diable, c’est l’esprit de Pesanteur. Comment, ô légères créatures, serais-je l’ennemi de vos danses divines ou de vos pieds de jeunes filles aux gracieuses chevilles ?
   Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. révisée de G. Bianquis, GF-Flammarion n°881, p.152



  • Debussy: Danse sacrée et danse profane **



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Liens :
   ¤ Ainsi parlait Zarathoustrahttps://fr.wikipedia.org/wiki/Ainsi_parlait_Zarathoustra
   ¤ à propos de l’œuvre de Debussy sur le site du Palazzetto Bru Zane de Venise, "Centre de musique romantique française" : http://www.bruzanemediabase.com/fre/AEuvres/Danse-sacree-et-Danse-profane-Claude-Debussy/%28offset%29/5
   ¤ une chronologie précise de la vie du musicien : http://www.debussy.fr/cdfr/bio/bio1_62-82.php

Notes :
* paroles et musique de Jerry Jeff Walker, composé en hommage au danseur de claquettes Bill Robinson
"J'ai entendu quelqu'un lui demander "S'il vous plaît,
S'il vous plaît,
Revenez et dansez, dansez, dansez, s'il vous plaît, dansez" "
Texte en anglais et traduction : http://www.lacoccinelle.net/262171.html

** Debussy: Danse sacrée et danse profane
Interprètes : Anneleen Lenaerts, violoncelle; Brussels Philarmonic , dir. Michel Tabachnik : https://www.youtube.com/watch?v=G3UGewCinYw





lundi 11 avril 2016

" De nos ombres ... "

                                   " Après tout, à la guerre,
Un homme, c'est de l'ombre, et ça ne compte guère"
   Victor Hugo *

Photo de Jacques Clauzel à la source du poème ci-dessous.




De nos ombres avides
Vient de surgir
Ce visage supplicié

Hors des nuits
Du doute
S'écartant de la face
Proche et sombre
Qui nous rive au mal
Se trament
L'esquisse d'un sourire
Et nos lentes résurrections

Les yeux clos
Nous inventerons
Nos métamorphoses
Puis l'ascension
Vers l'éclat
La brève étincelle
De nos singulières vies.

Andrée Chedid **



  • " L'ombre de ton ombre ... "





Notes:
  * Victor Hugo, La Légende des siècles, XXI, Le cimetière d'Eylau, in O.C., Poésie III, Bouquins p.484
** poème extrait de " Ombres portées, 30 photographies de Jacques Clauzel, 30 poèmes contemporains", éd. Tipaza (2003), p. 42.  A propos de cet ouvrage il est précisé que trente poètes ont été invités à composer un texte en regard de la photographie qui leur était proposée. La photo de Jacques Clauzel ici reproduite est celle placée page 43 en regard du poème d'Andrée Chedid.

Liens :  
   ¤ Jacques Clauzel, artiste peintre, photographe : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Clauzel 
   ¤ Jacques Brel, Ne me quitte pas / No me abandones (subtitulos en español) : https://www.youtube.com/watch?v=adjroSu1RB0


 

mercredi 6 avril 2016

Arbre à sa fenêtre

" Le mois passé, ma chambre, rue Monsieur-le-Prince,
donnait sur un jardin du lycée Saint-Louis. Il y avait
des arbres énormes sous ma fenêtre étroite."
A. Rimbaud *


                                        LA DEUXIÈME CHAMBRE
L'érable qui frémit devant notre fenêtre
Est comme une autre chambre où nous ne pénétrons
Qu’au moment de dormir et dans les environs
Du rêve, quand il est malaisé de connaître
Ce qui distingue l’âme et le corps, et la nuit.
Alors nous devenons peu à peu ce feuillage
Qui chuchote sans cesse et peut-être voyage
Avec notre sommeil qu’il héberge et conduit
Dans la profondeur même où les racines plongent,
Où vague sous le vent le sommet des rameaux.
Nous dormons, l’arbre veille, il écoute les mots
Que murmure en dormant l’arbre confus des songes.

   Jacques Réda, Retour au calme, poèmes. Nrf  Gallimard 1989, p.138



   Toute la journée, dans cette demeure de Tansonville un peu trop campagne qui n'avait l'air que d'un lieu de sieste entre deux promenades ou pendant l'averse, une de ces demeures où chaque salon a l'air d'un cabinet de verdure, et où sur la tenture des chambres les roses du jardin dans l'une, les oiseaux des arbres dans l'autre, vous ont rejoints et vous tiennent compagnie - isolés du moins - car c'étaient de vieilles tentures où chaque rose était assez séparée pour qu'on eût pu si elle avait été vivante la cueillir, chaque oiseau le mettre en cage et l'apprivoiser, sans rien de ces grandes décorations des chambres d'aujourd'hui où sur un fond d'argent, tous les pommiers de Normandie sont venus se profiler en style japonais pour halluciner les heures que vous passez au lit ; toute la journée, je la passais dans ma chambre qui donnait sur les belles verdures du parc et les lilas de l'entrée, les feuilles vertes des grands arbres au bord de l'eau, étincelants de soleil, et la forêt de Méséglise. Je ne regardais en somme tout cela avec plaisir que parce que je me disais :    «  C'est joli d'avoir tant de verdure dans la fenêtre de ma chambre », jusqu'au moment où dans le vaste tableau verdoyant je reconnus, peint lui au contraire en bleu sombre, simplement parce qu'il était plus loin, le clocher de l'église de Combray. Non pas une figuration de ce clocher, ce clocher lui-même, qui, mettant ainsi sous mes yeux la distance des lieues et des années, était venu, au milieu de la lumineuse verdure et d'un tout autre ton, si sombre qu'il paraissait presque seulement dessiné, s'inscrire dans le carreau de ma fenêtre.
   Marcel Proust,  Le Temps retrouvé, Gallimard, Folio classique p.3 et 4



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Notes :
   *  Arthur Rimbaud, Lettre à Ernest Delahaye de juin 1972, signée "A. R. Rue Victor-Cousin, Hôtel de Cluny", in "Poésies complètes", Livre de Poche n°9635, p.245

Liens :
   ¤ à propos de l'érable https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89rable
   ¤ la commune "proustienne" d'Illiers -Combray : https://fr.wikipedia.org/wiki/Illiers-Combray