LE PARADIS
Un jour, j’ai demandé à Da [1]
de m’expliquer le paradis. Elle m’a montré sa cafetière. C’est le café des
Palmes que Da préfère, surtout à cause de son odeur. L’odeur du café des
Palmes. Da ferme les yeux. Moi, l’odeur me donne le vertige.
Dany Laferrière,
L’Odeur du café, Zulma (2016) p.18
"O olfato é uma vista estranha. Evoca paisagens sentimentais por umdesenhar súbito do subconsciente. Tenho sentido isto muitas vezes "[2]
L’odorat est un
bizarre sens de la vue. Il évoque des paysages sentimentaux que dessine soudain
le subconscient. C’est quelque chose que j’ai éprouvé bien souvent. Je passe
dans la rue, je ne vois rien ou plutôt, regardant tout autour de moi, je vois
comme tout le monde voit. Je sais que je marche dans une rue, et j’ignore qu’elle
existe, avec ses deux côtés faits de maisons différentes, construites par des
êtres humains. Je passe dans une rue. Voici que d’une boulangerie me vient une
odeur de pain, écœurante par sa douceur même : mon enfance se dresse
soudain devant moi, venue d’un quartier lointain, et c’est une autre
boulangerie qui m’apparait, sortie tout droit de ce pays de conte de fées, fait
de tout ce que nous avons vu mourir. Je passe dans une rue ; elle sent
tout d’un coup les fruits offerts à l’étalage incliné d’une boutique étroite :
et ma brève période campagnarde – je ne sais plus où ni quand – possède des
arbres, tout là-bas, et offre la paix à mon cœur – un cœur d’enfant,
indiscutablement. Je passe dans une rue ; me voilà bouleversé, à l’improviste,
par une odeur de caisses dans une
menuiserie : ô mon cher Cesário
[3] !
Tu m’apparais et je suis enfin heureux, parce que je suis revenu, par le
souvenir, à la seule vérité, celle de la littérature.
Fernando Pessoa,
Le livre de l’intranquillité, trad.
F. Laye, Christian Bourgois éd., §268 p. 280
Liens :
¤ Dany Laferrière : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dany_Laferri%C3%A8re
[1]
Da est la grand-mère de l’enfant
[2]
On peut rechercher en ligne ce texte complet en portugais (en pdf)
par un copier-coller de son incipit.
[3]
Cesário Verde, poète réaliste et
parnassien, chantre de la Lisbonne de la fin du XIXe siècle (ibid. note 5, p.41)