vendredi 22 décembre 2017

Tes mains comme deux ailes




  TUS MANOS

Cuando tus manos salen,
amor, hacia las mías,
qué me traen volando?
Por qué se detuvieron
en mi boca, de pronto,

por qué las reconozco
como si entonces, antes,
las hubiera tocado,
como si antes de ser
hubieran recorrido
mi frente, mi cintura?

Su suavidad venía
volando sobre el tiempo,
sobre el mar, sobre el humo,
sobre la primavera,
y cuando tú pusiste
tus manos en mi pecho,
reconocí esas alas
de paloma dorada,
reconocí esa greda
y ese color de trigo.

Los años de mi vida
yo caminé buscándolas.
Subí las escaleras,
crucé los arrecifes,
me llevaron los trenes,
las aguas me trajeron,
y en la piel de las uvas
me pareció tocarte.
La madera de pronto
me trajo tu contacto,
la almendra me anunciaba
tu suavidad secreta,
hasta que se cerraron
tus manos en mi pecho
y allí como dos alas
terminaron su viaje.

   Pablo Neruda, Los versos del capitán, in « Vingt poèmes d’amour », Poésie Gallimard p. 126



    C’était dans un petit bois sur la falaise. Placé entre deux jeunes filles étrangères à la petite bande et que celle-ci avait emmenées parce que nous devions être ce jour-là fort nombreux, je regardais avec envie le voisin d’Albertine, un jeune homme, en me disant que si j’avais eu sa place, j’aurais pu toucher les mains de mon amie pendant ces minutes inespérées qui ne reviendraient peut-être pas, et eussent pu me conduire très loin. Déjà à lui seul et même sans les conséquences qu’il eût entraînées sans doute, le contact des mains d’Albertine m’eût été délicieux. Non que je n’eusse jamais vu de plus belles mains que les siennes. Même dans le groupe de ses amies, celles d’Andrée, maigres et bien plus fines, avaient comme une vie particulière, docile au commandement de la jeune fille, mais indépendante, et elles s’allongeaient souvent devant elle comme de nobles lévriers, avec des paresses, de longs rêves, de brusques étirements d’une phalange, à cause desquels Elstir avait fait plusieurs études de ces mains. Et dans l’une où on voyait Andrée les chauffer devant le feu, elles avaient sous l’éclairage la diaphanéité dorée de deux feuilles d’automne. Mais, plus grasses, les mains d’Albertine cédaient un instant, puis résistaient à la pression de la main qui les serrait, donnant une sensation toute particulière. La pression de la main d’Albertine avait une douceur sensuelle qui était comme en harmonie avec la coloration rose, légèrement mauve, de sa peau. Cette pression semblait vous faire pénétrer dans la jeune fille, dans la profondeur de ses sens, comme la sonorité de son rire, indécent à la façon d’un roucoulement ou de certains cris. Elle était de ces femmes à qui c’est un si grand plaisir de serrer la main qu’on est reconnaissant à la civilisation d’avoir fait du shake-hand un acte permis entre jeunes gens et jeunes filles qui s’abordent.

   Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. I, éd.1954, p.933-934    




          TES MAINS

Lorsque tes mains s’envolent,
mon amour, vers les miennes,
que m’apporte leur vol ?
Pourquoi s’être arrêtées
brusquement sur ma bouche,
se faisant familières
comme si lors, avant,
je les avais touchées,
comme si avant d’être
elles avaient couru
sur mon front, sur ma taille ?


Leur douceur s’avançait
en volant sur le temps,
sur la mer, la fumée,
sur le printemps aussi,
et quand tu as posé
tes mains sur ma poitrine,
j’ai reconnu ces ailes
de colombe dorée
reconnu cette argile,
cette couleur de blé.


J’ai passé mes années
à marcher, les quêtant.
J’ai franchi les récifs,
gravi les escaliers,
les trains m’ont emmené,
les eaux m’ont ramené,
dans la peau du raisin
je croyais te palper.
Le bois m’a apporté
un beau jour ton contact,
l’amande m’annonçait
ta secrète douceur,
lorsque sur ma poitrine
tes mains se sont fermées
et là comme deux ailes
ont fini leur voyage.



   Pablo Neruda, Les vers du capitaine, trad. C. Couffon, in « Vingt poèmes d’amour », Poésie Gallimard p. 127
  
                                                                                                                      & & & 

       Références : Main : dessin de Madeleine Duvillier