J'ai souvent évoqué cette lune enchantée, /
Ce silence et cette langueur, /
Et cette confidence horrible chuchotée /
Au confessionnal du cœur. /
Charles Baudelaire. Confession
" Après tout, à la guerre, Un homme, c'est de l'ombre, et ça ne compte guère" Victor Hugo *
Photo de Jacques Clauzel à la source du poème ci-dessous.
De nos ombres avides
Vient de surgir
Ce visage supplicié
Hors des nuits
Du doute
S'écartant de la face
Proche et sombre
Qui nous rive au mal
Se trament
L'esquisse d'un sourire
Et nos lentes résurrections
Les yeux clos
Nous inventerons
Nos métamorphoses
Puis l'ascension
Vers l'éclat
La brève étincelle
De nos singulières vies.
Andrée Chedid **
" L'ombre de ton ombre ... "
Notes:
* Victor Hugo, La Légende des siècles, XXI, Le cimetière d'Eylau, in O.C., Poésie III, Bouquins p.484
** poème extrait de" Ombres portées, 30 photographies de Jacques Clauzel, 30 poèmes contemporains", éd. Tipaza (2003), p. 42. A propos de cet ouvrage il est précisé que trente poètes ont été invités à composer un texte en regard de la
photographie qui leur était proposée. La photo de Jacques Clauzel ici reproduite est celle placée page 43 en regard du poème d'Andrée Chedid.
" Je me demande sérieusement si le dada sur un bâton n'a pas commencé à être pratiqué à partir de l'époque des Centaures." Jonathan Swift *
Le centaure
Chevauche à travers la terre
Jusqu’aux marges du lointain
Jusqu’à ce que ton dos humain
Se coule dans la cuisse animale.
Vol en toi réfréné
Autour de la terre des hommes et des purs-sangs
Dont le pouvoir corrompt toute chose.
Au trot, mais comme en vol,
Tendu des cuisses au visage,
Sois pour eux la plus antique unité
De l’homme et de l’animal.
Hannah Arendt, Heureux qui n’a pas de
patrie. Poèmes de pensée, trad. F. Mathieu, Payot, 2015, p.181 **
Kentaur
Reite über die
Erde
Hin zu den Rändern
der Weite,
Bis Dein
menschlicher Rücken
Sich fügt in
die tierischen Schenkel.
Umflügle
gebändigt in Dir
Die Erde der
Menschen und Rosse,
Denen alles
die Herrschaft verdirbt.
Trabend, doch
wie im Fluge,
Gestreckt von
Gesicht zu den Schenkeln,
Sei ihnen die
ältere Einheit
Von Mensch und
Tier.
Métamorphose d'Ocyrhoé, fille du centaure Chiron
Ocyrhoé, fille du centaure Chiron, dotée du don de prophétie, prédit à Esculape
enfant, confié à son père, qu'il aura le pouvoir de guérir les mortels et aussi
de les ressusciter, mais qu'il provoquera, en usant de ce pouvoir, la colère
des dieux et sera foudroyé par Jupiter, avant de connaître une nouvelle
existence.
À son père Chiron, né immortel, Ocyrhoé prédit qu'il mourra, empoisonné par
le sang d'un serpent. Mais la prophétesse en a trop dit et sa métamorphose en
cavale l'empêche de terminer sa prophétie.
« Il lui restait encore une part
d’avenir à dévoiler. Des soupirs montent du fond de sa poitrine, et ses yeux se
remplissent de larmes qui coulent sur ses joues, puis : " Les
destins, dit-elle, m’empêchent de poursuivre ; il m’est interdit d’en dire
davantage, et voici que l’usage de la parole m’est retiré. Je ne faisais pas
tant de cas de ma science, qui a amassé sur moi la colère divine ; je
préfèrerais avoir ignoré l’avenir. Et déjà je sens que l’on me ravit les traits
humains ; déjà, pour nourriture, l’herbe m’attire, déjà mon élan m’emporte
à galoper dans les vastes plaines. Changée en cavale, je prends le corps de ma
famille. Mais pourquoi tout entier ? Mon père n’est bien qu’à demi-animal
!"
Comme elle parlait ainsi, la fin de ses
plaintes devint inintelligible ; ce ne furent plus que des mots confus.
Bientôt ce ne furent plus des mots, ni encore le cri d’une cavale : on eût
dit l’imitation de ce cri. Puis, au bout de peu de temps, elle poussa de vrais
hennissements et marcha avec ses bras dans l’herbe. Alors ses doigts se
rejoignirent, un léger sabot réunit ses cinq ongles dans une masse cornée, sa
tête et son cou s’allongèrent ; la plus longue partie de sa robe devint
une longue queue, et ses cheveux épars, répandus tels quels sur son cou, se
muèrent en crinière retombant sur le côté droit. Sa voix et son aspect furent,
du même coup, entièrement changés. Elle tira même le nom d’Hippé, la Cavale, de
ce prodige.»
Ovide, Les
métamorphoses (II, 633-675), trad. J. Chamonard, GF n°97 p.83***