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dimanche 20 décembre 2015

Le présent comme don

  

   Nous ne tenons jamais au temps présent. Nous rappelons le passé; nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans des temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent d'ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige, et s'il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.
    Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et, si nous y pensons ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin.
   Le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »
    Blaise Pascal, Pensées, Brunschvicg 172 / Lafuma 47






   Quand tout à fait sans m’y attendre, je me trouvais dans la sacristie de S. Zaccaria à Venise devant le triptyque des madones de Giovanni Bellini, s’empara de moi le sentiment : ici il y eut un instant de perfection et moi j’ai le privilège de le contempler, des millénaires l’avaient préparé, des millénaires durant, il ne reviendrait pas si l’on ne s’en emparait pas –  l’instant où dans « l’équilibre fugace de forces immenses » [1] l’univers a l’air de s’immobiliser pour le temps d’un battement de cœur, afin de rendre possible une suprême réconciliation de ses contradictions dans une œuvre humaine. Et ce que cette œuvre humaine retient, c’est le présent absolu en soi – pas un passé, pas un avenir, aucune promesse, aucune postérité, qu’elle soit meilleure ou pire, pas le pré-apparaitre de quoi que ce soit, mais l’apparaitre intemporel en soi.
   Hans Jonas, Le Principe responsabilité (Das Prinzip Verantwortung), trad. Jean Greisch, Champs essais p.409



Liens:
   ¤   sur Hans Jonas : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hans_Jonas
   ¤   sur Le Principe responsabilitéhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Principe_responsabilit%C3%A9 
   ¤   Das Prinzip Verantwortunghttps://de.wikipedia.org/wiki/Das_Prinzip_Verantwortung
   ¤   A propos de La Sacra Conversazione de G. Bellini (photo personnelle) : https://it.wikipedia.org/wiki/Pala_di_San_Zaccaria 
 


[1] « Balance of colossal forces », c’est ce que dit monsieur Stein dans le Lord Jim de Joseph CONRAD, en lui désignant une œuvre d’art de la nature, un papillon rare d’une beauté parfaite.[note de l'auteur]

mardi 29 septembre 2015

A la chasse avec Pascal, Alain, Thomas Bernhard et ... Les Inconnus. Fantaisie philosophico-humoristique.



Poutre sculptée. Dijon, rue Verrerie.



   « Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux et  ceux qui font sur cela les philosophes et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu’ils ne voudraient pas avoir acheté, ne connaissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères qui nous en détournent, mais la chasse nous en garantit »                                                                      
   Blaise Pascal, Pensées, Section I. Papiers classés. VIII Divertissement, Lafuma 136





  


   « Il y a deux expériences, l’une qui alourdit et l’autre qui allège. Comme il y a le chasseur gai et le chasseur triste. Le chasseur triste manque le lièvre et dit : « Voilà bien ma chance », et bientôt : « Ces choses-là n’arrivent qu’à moi. » Le chasseur gai admire la ruse du lièvre ; car il sait bien qu’il n’est pas dans la vocation du lièvre de courir à la casserole. Les proverbes sont pleins de cette virile sagesse et il y a bien de la profondeur dans ce que ma grand’mère disait des alouettes qui ne tombent point toutes rôties.»
   Alain, Propos sur le bonheur, XXVI Hercule, 7 novembre 1922. Gallimard, coll. Idées n°8, p.70


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    [...] " je me suis immobilisé encore une fois devant les cercueils, mais avec la seule pensée que les chasseurs sont des gens répugnants, les plus répugnants qui soient, que je ne supporte plus la vue de leurs uniformes, que j'abhorre leurs figures et que leurs physionomies m'ont rebuté depuis toujours, et tout à coup j'ai eu peur de la journée qui s’annonçait."
   Thomas Bernhard, Extinction. Un effondrement, trad. Gilberte Lambrichs, L'Imaginaire Gallimard p.463

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   " Ce jour-là, j'ai dit à Gambetti que l'art d'exagérer est, à mon sens, un art de surmonter, de surmonter l'existence, ai-je dit à Gambetti. "
    ibid. p.479

 


   [...] " habe ich noch einmal vor den Särgen Aufstellung genommen, dabei aber nur gedacht, daß die Jäger widerliche Leute sind, die widerlichsten überhaupt, daß ich den Anblick ihrer Uniformen nicht mehr aushalte, daß ich ihre Gesichter verabscheue und daßmir ihre Physiognomien immer schon widerwärtig gewesen sind, und ich habe auf einmal Angst gehabt vor dem kommenden Tag."
   Thomas Bernhard, Auslöschung. Ein Zerfall. Suhrkamp, S. 591

   "Damals habe ich zu Gambetti gesagt, daß die Kunst der Übertreibung sei, der Existenzüberbrückung in meinen Sinn, habe ich zu Gambeti gesagt."
   ibid. S. 611-612


Liens :
   ¤  Alain sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_%28philosophe%29
   ¤  Alain, Propos sur le bonheurhttp://classiques.uqac.ca/classiques/Alain/propos_sur_le_bonheur/alain_propos_bonheur.pdf
   ¤ Les Inconnus sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Inconnus