vendredi 2 septembre 2016

Courses folles dans les labyrinthes de nos vies




   […] Gregor savait depuis le premier jour de sa vie nouvelle que son père considérait qu’envers lui seule la plus grande sévérité était de mise. Il se mit donc à courir devant son père, à s’arrêter quand son père restait en place, à repartir dès qu’il faisait un mouvement. Ils firent ainsi plusieurs fois le tour de la chambre sans qu’il se passât rien de décisif; comme tout se déroulait lentement, personne n’aurait même pu imaginer qu’il s’agissait d’une poursuite.

   Franz Kafka, La Métamorphose, trad. Claude David, Folio classique, p.123
 


   

   Il s’élança sur l’étroit trottoir et à nouveau les maisons et les murs de clôture se mirent à accélérer , une course folle qu’il ressentait, plus qu’il ne voyait, car il ne voyait quasiment plus rien, pas même les pavés sous ses pieds; près de lui les arbres, avec leurs troncs inclinés, couraient, leurs branches se balançaient mystérieusement dans le froid saisissant, les poteaux électriques s’écartaient, tous galopaient, tous filaient sur son passage, mais en vain, car les maisons, les pavés, les poteaux électriques, et les arbres (avec leurs branches se balançant mystérieusement) refusaient de disparaitre, et plus il souhaitait les distancer, plus ils réapparaissaient, comme s’ils le contournaient pour mieux le prendre de vitesse, si bien qu’il eut l’impression de ne pas en avoir dépassé un seul. Soit l’hôpital, soit le Pavillon des glaces, soit la fontaine de la place Erkel surgissait devant lui, mais dans la confusion des images qui se bousculaient à toute allure dans son esprit, il était incapable de déterminer s’il était déjà passé par ici, autrement dit, il était incapable de fuir les environs immédiats de l’appartement de Mme Eszter, et puis, le hasard ayant enfin exaucé son souhait de s’éloigner le plus possible du domaine de la place Kossuth et du prince et de se rapprocher  de son domaine à lui, il se retrouva brusquement  à l’angle de la rue des Quarante-huitards, et alors qu’il reprenait peu à peu ses esprits au sortir de cette course labyrinthique, il se surprit devant l’immeuble de Mme Pflaum en train d’appuyer sur le bouton de l’interphone. « Maman, c’est moi… » hurla-t-il [ … ]
   László Krasznahorkai , La Mélancolie de la résistance, trad. du hongrois par Joëlle Dufeuilly, p.216-217





   […] Gregor wußte ja noch vom ersten Tage seines neuen Lebens her, daß der Vater ihm gegenüber nur die größte Strenge für angebracht ansah. Und so lief er vor dem Vater her, stockte, wenn der Vater stehen blieb, und eilte schon wieder vorwärts, wenn sich der Vater nur rührte. So machten sie mehrmals die Runde um das Zimmer, ohne daß sich etwas Entscheidendes ereignete, ja ohne daß das Ganze infolge seines langsamen Tempos den Anschein einer Verfolgung gehabt hätte.
   Franz Kafka, Die Verwandlung, éd. bilingue, Le Livre de poche, Les Langues modernes, p.128


  • The Velvet Underground & Nico : RUN RUN RUN



Liens :
   ¤ Romancier, László Krasznahorkai (ami entre autres du regretté Imre Kertész) est également scénariste et adaptateur de ses propres œuvres au cinéma pour le réalisateur Béla Tarr: https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A1szl%C3%B3_Krasznahorkai

2 commentaires:

  1. Photos labyrinthiques qui parlent à l’œil du promeneur venu se ressourcer sur ce blog si enthousiasmant.

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  2. " Je suis seul ici maintenant, bien à l'abri. Dehors il pleut, dehors on marche sous la pluie en courbant la tête, s'abritant les yeux tout en sregardant quand même devant soir, à quelques mètres devant soi, quelques mètres d'asphalte mouillé..."
    Alain Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe.

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