mardi 30 août 2016

A chacun sa sonate

Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfare les cors
Pour le retour des camarades   
                                                                                                                                                                    
Léo Ferré *


  • Marcel Proust, la sonate de Vinteuil :                                                            

    Tandis que la sonate s’ouvrait sur une aube liliale et champêtre, divisant sa candeur légère mais pour se suspendre à l’emmêlement léger et pourtant consistant d’un berceau rustique de chèvrefeuilles sur des géraniums blancs, c’était sur des surfaces unies et planes comme celles de la mer que, par un matin d’orage, commençait, au milieu d’un aigre silence, dans un vide infini, l’œuvre nouvelle, et  c’est dans un rose d’aurore que, pour se construire progressivement devant moi, cet univers inconnu était tiré du silence et de la nuit. Ce rouge si nouveau, si absent de la tendre, champêtre et candide sonate, teignait tout le ciel, comme l’aurore, d’un espoir mystérieux. Et un chant perçait déjà l’air, chant de sept notes, mais le plus inconnu, le plus différent de tout ce que j’eusse jamais imaginé, à la fois ineffable et criard, non plus  roucoulement de colombe comme dans la sonate, mais déchirant l’air, aussi vif que la nuance écarlate dans laquelle le début était noyé, quelque chose comme un mystique chant du coq, un appel ineffable mais suraigu, de l’éternel matin. L’atmosphère froide, lavée de pluie, électrique – d’une qualité si différente, à des pressions tout autres, dans un monde si éloigné de celui, virginal et meublé de végétaux, de la sonate – changeait à tout instant, effaçant la promesse empourprée de l’Aurore. À midi pourtant, dans un ensoleillement brûlant et passager, elle semblait s’accomplir en un bonheur lourd, villageois et presque rustique, où la titubation de cloches retentissantes et déchaînées (pareilles à celles qui incendiaient de chaleur la place de l’église à Combray, et que Vinteuil, qui avait dû souvent les entendre, avait peut-être trouvées à ce moment-là dans sa mémoire comme une couleur qu’on a à portée de sa main sur une palette) semblait matérialiser la plus épaisse joie. À vrai dire, esthétiquement ce motif de joie ne me plaisait pas; je le trouvais presque laid, le rythme s’en traînait si péniblement à terre qu’on aurait pu en imiter presque tout l’essentiel, rien qu’avec des bruits, en frappant d’une certaine manière des baguettes sur une table. Il me semblait que Vinteuil avait manqué là d’inspiration, et en conséquence, je manquai aussi là un peu de force d’attention.
   Marcel Proust :La Prisonnière, chap. II, Folio classique, p.238-239

  • César Franck, Sonate pour violon et piano (1886)

 Gidon Kremer violon, Khatia Buniatishvili piano.

 
 


Liens :
    ¤  La Prisonnière est lisible en ligne : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Prisonni%C3%A8re
    ¤  César Franck, né en 1822 à Liège, Royaume-Uni des Pays-Bas : https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9sar_Franck
    ¤  Philippe Cassard : "Piano et pianistes dans l’œuvre de Marcel Proust "avec Jérôme Bastianelli, France Musique, le samedi 27 juin 2015 (émission disponible en ligne jusqu'au 23/03/2018 ) : http://www.francemusique.fr/emission/notes-du-traducteur/2014-2016/piano-et-pianistes-dans-l-oeuvre-de-marcel-proust-avec-jerome-bastianelli-06-27-2015-14


   Cette émission renvoie aux différentes œuvres musicales dont aurait pu s’inspirer Marcel Proust pour sa sonate littéraire.
   ¤  à propos de la forme sonate : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sonate
   ¤  instrumentistes de cet enregistrement de la sonate de Franck :
       - Gidon Kremer, violon : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gidon_Kremer
       - Khatia Buniatishvili, piano : https://fr.wikipedia.org/wiki/Khatia_Buniatishvili

Notes

* Léo Ferré, août 1916 - juillet 1993. La mémoire et la mer, extrait.
** photo 2 : Violoniste; hall du Muzick Theater d'Amsterdam, Pays-Bas; artiste non identifié (ph. pers.) 

1 commentaire:

  1. " Mère et fille... Quelle terrible combinaison d'émotions, confusion et destruction..."
    Liv Ulmann, dans Sonate d'automne, de Ingmar Bergman

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