mardi 7 avril 2015

De rois, de reines et de cavaliers . . .


 

 

                                  Royauté


   Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme
et une femme superbes criaient sur la place publique :
"Mes amis, je veux qu'elle soit reine!"
"Je veux être reine!" Elle riait et tremblait. 
Il parlait aux amis de révélation, d'épreuve terminée.
Ils se pâmaient l'un contre l'autre.
   En effet ils furent rois toute une matinée où 
les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, 
et toute l'après-midi, où ils s'avancèrent du côté des 
jardins de palmes. 
                                Arthur Rimbaud, Illuminations, Livre de Poche, Les Classiques de Poche, p.103
 
 
 

   «  Mario et celui qui galopait  auprès de lui n'ignoraient pas les bruits vagues et superstitieux que  racontaient, dans les veillées, les pêcheurs de la côte, en chuchotant autour  de l'âtre, portes et fenêtres fermées; pendant que le vent de la nuit, qui  désire se réchauffer, fait entendre ses sifflements autour de la cabane de  paille, et ébranle, par sa vigueur, ses frêles murailles, entourées à la base  de fragments de coquillages apportés par les replis mourants des vagues. Nous  ne parlions pas. Que disent deux cœurs qui s'aiment? Rien. Mais nos yeux  exprimaient tout. Je l'avertis de serrer davantage son manteau  autour de lui, et lui me fait observer que mon cheval s'éloigne trop du sien: chacun prend  autant d'intérêt à la vie de l'autre qu'à sa propre vie; nous ne rions pas. Il  s'efforce de me sourire; mais, j'aperçois que son visage porte le poids des  terribles impressions qu'y a gravées la réflexion, constamment penchée sur les sphinx  qui déroutent, avec un œil oblique, les grandes angoisses de l'intelligence des mortels. Voyant ses manœuvres inutiles, il détourne les yeux, mord son  frein terrestre avec la bave de la rage, et regarde l'horizon, qui s'enfuit à  notre approche. À mon tour, je m'efforce de lui rappeler sa jeunesse dorée, qui ne demande qu'à s'avancer dans les palais des plaisirs, comme une reine; mais  il remarque que mes paroles sortent difficilement de ma bouche amaigrie, et que  les années de mon propre printemps ont passé, tristes et glaciales, comme un  rêve implacable qui promène, sur les tables des banquets, et sur les lits de  satin, où sommeille la pâle prêtresse d'amour, payée avec les miroitements de l'or,  les voluptés amères du désenchantement, les  rides pestilentielles de la  vieillesse, les effarements de la solitude et les flambeaux de la douleur.  Voyant mes manœuvres inutiles, je ne m'étonne pas de ne pas pouvoir le rendre  heureux; le Tout-Puissant m'apparaît revêtu de ses instruments de torture, dans  toute l'auréole resplendissante de son horreur; je détourne les yeux et regarde  l'horizon qui s'enfuit à notre approche... Nos chevaux galopaient le long du  rivage, comme s'ils fuyaient l'œil humain. » 

   Lautréamont, Les Chants de Maldoror, in Œuvres complètes d'Isidore Ducasse, Livre de Poche,  p.177-178.




Claude Debussy, La Mer

 1: De l'aube à midi sur la mer
2 : Le jeu des vagues
3 : Le dialogue du vent et de la mer

London Symphony Orchestra, direction, Valery Gergiev


                                             * * *         

Liens:
 - Chant III (non sans erreurs):http://athena.unige.ch/athena/lautreamont/lautreamont_maldoror_3.html
 - Debussy, La Mer : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mer_%28Debussy%29  
 - Le London Symphony Orchestra ici dirigé par Valery Gergiev : https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=hlR9rDJMEiQ

2 commentaires:

  1. Sur cette dernière photo captivante, le nuage serait-il l’œil humain, les rochers les chevaux qui galopent et la jetée lumineuse l'horizon qui fuit. L'oiseau en suspens demeure quant à lui "le rêve implacable" pris en plein vol à cette heure trouble où la couleur ouvre la porte aux métamorphoses.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et où tombe la nuit sous cette luminescence rose, sous cette aile oubliée d'un oiseau géant depuis longtemps parti, sur l'étendue de l'eau que le bras des roches posées là enserre, où vient ce jour ou cette nuit, que sommes-nous ?

      Supprimer