mardi 14 avril 2015

JE DIRAI ET REDIRAI TON NOM







                                           CUANDO TE NOMBRAN

Cuando te nombran,
Me roban un poquito de tu nombre;
Parece mentira,
Que media docena de letras digan tanto.

Mi locura sería deshacer las murallas con tu nombre,
Iría pintando todas las paredes,
No quedaría un pozo
Sin que yo me asomara
Para decir tu nombre,
Ni montaña de piedra
Donde yo no gritara
Enseñándole al eco
Tus seis letras distintas.

Mi locura sería,
Enseñar a las aves a cantarlo,
Enseñar a los peces a beberlo,
Enseñar a los hombres que no hay nada
Como volverse loco y repetir tu nombre.

Mi locura sería olvidarme de todo,
De las 22 letras restantes, de los números,
De los libros leídos, de los versos creados.
Saludar con tu nombre.
Pedir pan con tu nombre.
– Siempre dice lo mismo – dirían a mi paso,
Y yo, tan orgullosa, tan feliz, tan campante,
Y me iré al otro mundo con tu nombre en la boca,
A todas las preguntas responderé tu nombre
– Los jueces y los santos no van a entender nada –
Dios me condenaría a decirlo sin parar para siempre.

                  Gloria Fuentes (Madrid 1918-1998), Poeta de guardia, 1968.                                            Anthologie bilingue de la poésie espagnole, Gallimard, coll. La Pléiade p.886.

                                                                  


  • Le nom de Gilberte dans les Champs désertés

    [...]
    « Mais on parlait de ne plus m’envoyer aux Champs-Élysées. On disait que c’était à cause du mauvais air ; je pensais bien qu’on profitait du prétexte pour que je ne pusse plus voir Mlle Swann et je me contraignais à redire tout le temps le nom de Gilberte, comme ce langage natal que les vaincus s’efforcent de maintenir pour ne pas oublier la patrie qu’ils ne reverront pas. Quelquefois ma mère passait sa main sur mon front en me disant :
   « Alors, les petits garçons ne racontent plus à leur maman les chagrins qu’ils ont ? »
   Françoise s’approchait tous les jours de moi en me disant : « Monsieur a une mine ! Vous ne vous
êtes pas regardé, on dirait un mort ! » Il est vrai que si j’avais eu un simple rhume, Françoise eût pris le même air funèbre. Ces déplorations tenaient plus à sa « classe » qu’à mon état de santé. Je ne démêlais pas alors si ce pessimisme était chez Françoise douloureux ou satisfait. Je conclus provisoirement qu’il était social et professionnel.
   Un jour, à l’heure du courrier, ma mère posa sur mon lit une lettre. Je l’ouvris distraitement puisqu’elle ne pouvait pas porter la seule signature qui m’eût rendu heureux, celle de Gilberte avec qui je n’avais pas de relations en dehors des Champs-Élysées. Or, au bas du papier, timbré d’un sceau d’argent représentant un chevalier casqué sous lequel se contournait cette devise : Per viam rectam, au-dessous d’une lettre, d’une grande écriture, et où presque toutes les phrases semblaient soulignées, simplement parce que la barre des t étant tracée non au travers d’eux, mais au-dessus, mettait un trait sous le mot correspondant de la ligne supérieure, ce fut justement la signature de Gilberte que je vis. Mais parce que je la savais impossible dans une lettre adressée à moi, cette vue, non accompagnée de croyance, ne me causa pas de joie. Pendant un instant elle ne fit que frapper d’irréalité tout ce qui m’entourait. Avec une vitesse vertigineuse, cette signature sans vraisemblance jouait aux quatre coins avec mon lit, ma cheminée, mon mur. Je voyais tout vaciller comme quelqu’un qui tombe de cheval et je me demandais s’il n’y avait pas une existence toute différente de celle que je connaissais, en contradiction avec elle, mais qui serait la vraie, et qui m’étant montrée tout d’un coup me remplissait de cette hésitation que les sculpteurs dépeignant le Jugement dernier ont donnée aux morts réveillés qui se trouvent au seuil de l’autre Monde.»
    
   Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1ière partie, Autour de Mme Swann, Folio classique pp.70-71





  •    Oui, j'aime . . .

   « Oui, j’aime Rubens. C’est fait, c’est dit, je ne pense plus qu’à Rubens, il fallait bien que cela arrive. Je ne m’intéresse plus qu’à lui, à ce qui en parle, à ce qui lui ressemble, et tout ce qui ne m’y reconduit pas, de près ou de loin, m’ennuie.
[…]
   J’aime Rubens, je lis Rubens, j’écoute Rubens, je regarde Rubens, au point que je suis étonné, chaque fois que je descends dans les rues, de ne jamais le croiser ni pouvoir le saluer, ici ou là, marchant, se promenant, comme surimprimé par la grâce du temps sur les trottoirs obscurs du monde de maintenant. »

   Philippe Muray, La Gloire de Rubens, Bernard Grasset, 1991, p.11



Hélène Fourment ou La Petite Pelisse, (Het Pelsken), c. 1638 Kunsthistorisches Museum, Vienne


  • Traduction du poème de Gloria Fuente
               QUAND ON DIT TON NOM
 Quand on dit ton nom,
C’est un peu de ton nom qu’on me vole ;
C’est incroyable,                                
Qu’en une demi-douzaine de lettres on puisse en dire autant.
                                                                
J’ai ce rêve fou qu’en disant ton nom les murailles croulent,
J’en couvrirais les murs,
Il n’y aurait de puits
Au bord duquel, penchée,
Je ne dirais ton nom,
Ni montagne de pierre
Où je ne le crierais,
Pour apprendre à l’écho
Ses six lettres distinctes.

J’ai ce rêve fou
D’apprendre aux oiseaux à chanter ton nom,
D’apprendre aux poissons à boire ton nom,
D’apprendre aux humains que rien n’est plus beau
Que devenir fou en disant ton nom.

J’ai ce rêve fou de tout oublier,
Les 22 autres lettres, les nombres,
Les livres déjà lus, les vers déjà créés.
Dire ton nom pour saluer.
Dire ton nom pour demander du pain.        
– Elle répète toujours la même chose – dirait-on quand je passe,
Et moi, toute faraude, heureuse et rayonnante,
J’irai vers l’autre monde, ton nom  dedans ma bouche,
A toutes les questions, je répondrai ton nom
– Les juges et les saints ne vont rien y comprendre –  
Dieu me condamnerait à le dire sans trêve et pour l’éternité.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Ibid., p.887, trad.: Nadine Ly  
  • A noter:  Le portrait d'Hélène Fourment dit La petite pelisse est l'une des œuvres du peintre reproduite en N&B dans l'ouvrage  de Ph. Muray (pl. XV et XVI, détail)
  • Remerciements à Geneviève G. pour la reproduction autorisée de son aquarelle représentant des pains. 
        Liens - Gloria Fuentes, en espagnol : http://es.wikipedia.org/wiki/Gloria_Fuertes    
                      - en español : Marcel Proust, En busca del tiempo perdido, A la sombra de las muchachas en flor http://www.edu.mec.gub.uy/biblioteca_digital/libros/P/Proust,%20Marcel%20-%202%20A%20la%20sombra%20de%20las%20muchachas%20en%20flor.pdf 
                      - P. P. Rubens : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Paul_Rubens                                                                                                                                                        - Ph. Muray : http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Muray                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

    2 commentaires:

    1. Si on me demande mon avis, je dirai que Gilberte enfant est le personnage le plus sympathique de La Recherche. Du moins Proust fait-il tout pour que nous l'aimions...

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    2. Ça faisait un moment que je n'étais pas allée sur la lune enchantée... Je ne suis pas déçue du détour. Jolie séquence que celle du 17 avril. Bel écrin pour ta photo "de stage", un texte qui colle à 200% à la photo, et qui est un vrai plaisir de lecture. Je découvre aussi une poétesse espagnole au poème émouvant. Merci !

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