vendredi 17 avril 2015

De la vie profonde des "natures mortes".



   

 
    « Je restais maintenant volontiers à table pendant qu’on desservait, et si ce n’était pas un moment où les jeunes filles de la petite bande pouvaient passer, ce n’était plus uniquement du côté de la mer que je regardais. Depuis que j’en avais vu dans des aquarelles d’Elstir, je cherchais à retrouver dans la réalité, j’aimais comme quelque chose de poétique,  le geste interrompu des couteaux encore de travers, la rondeur bombée d’une serviette défaite où le soleil intercale un morceau de velours jaune,  le verre à demi vidé qui montre mieux ainsi le noble évasement de ses formes et au fond de son vitrage translucide et pareil à une condensation du jour, un reste de vin sombre mais scintillant de lumières, le déplacement des volumes, la transmutation des liquides par l’éclairage,  l’altération des prunes qui passent du vert au bleu et du bleu à l’or dans le compotier déjà à demi dépouillé, la promenade des chaises vieillottes qui deux fois par jour viennent s’installer autour de la nappe, dressée sur la table ainsi que sur un autel  où sont célébrées les fêtes de la gourmandise et sur laquelle au fond des huitres quelques gouttes d’eau lustrale restent comme dans de petits bénitiers de pierre ; j’essayais de trouver la beauté là où je ne m’étais jamais figuré qu’elle fût, dans les choses les plus usuelles, dans la vie profonde des "natures mortes ".»

    Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Noms de pays: le pays, Folio classique p.432





    Hommage et remerciements à Wanda Skonieczny, photographe plasticienne.         
    Ses publications majeures :                                        
       -  2013- Traînes –éditions FILIGRANES
       -  2011- Li(e)ns –éditions FILIGRANES

       -   Photo du haut : réalisation personnelle. Stage « Nature morte et vanités»  organisé par W. Skonieczny   (Villeneuve  l'Archevêque, Yonne, février 2015)         

       -   Photo du bas : Portrait de la photographe où la main d'une de ses œuvres semble s'être posée sur son épaule (photo personnelle, septembre 2014)


 




2 commentaires:

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    1. Ces photographies sont bien mystérieuses. Ce chou rouge, de quelque éclat bleu, avoue trop sa singularité de chou pour l'être honnêtement. D'abord, ce qui l'autorise à se fendre, qu'est-ce qu'une moitié de choux rouge rapportée à l'entier - est-ce définitivement de quantité, de fraction qu'il s'agit, ou sommes-nous conviés, à ses risques et périls, à une métamorphose ? Pour évaluer les risques, précisément, il est déjà trop tard : un demi-chou s'en va plus vite vers sa fin qu'un chou entier. Et puis ce drapé, on a envie de dire de théâtre, mais non, c'est d'opéra qu'il s'agit, l'opéra fabuleux d'une brassicacée qui ayant chanté tout l'été se trouva fort dépourvue lorsqu'une main indifférente lui fendit la tête à Rungis, d'un coup de sabre à légumes. Quant à l'épaule et la main, je n'ose pas y penser. Quant à La Recherche enfin, il faudrait que je relise l'ensemble pour décider une bonne fois si je préfère NOM DE PAYS, LES NOMS à NOM DE PAYS, LE PAYS ou l'inverse. En attendant, je me régale de cette antithèse trois fois contrastée, qui dépasse de beaucoup mes capacités d'analyse.

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