lundi 27 mars 2017

Le prix de l'heure


      Voici le temps présent, le seul que nous trouvions digne du nom de long, contracté dans l’espace à peine d’un jour. Mais regardons-y encore et de près : il n’y a pas non plus de jour présent en bloc. Des vingt-quatre heures dont la somme fait, nuit et journée, un jour plein, toutes sont, par rapport à la première, futures, par rapport à la dernière, passées, et n’importe laquelle dans la série a derrière soi des heures passées, devant soi des heures futures. L’heure à son tour est faite de brins qui s’échappent ; tout ce qui s’est envolé d’elle est passé, tout ce qui lui reste est futur.
   Saint Augustin, Confessions, trad. de Louis de Mondadon, Livre de Poche, p.332-333


                            
                               Le prix de l’heure dans l’île Saint-Germain
Les ombres des passants s'allongent à vue d'œil,
Marquant l'heure cosmique en travers des pelouses.
Aussi chaque brin d'herbe a son ombre qui bouge
Comme l'aiguille d'un très sensible appareil.
Mais d'en haut, au sommet du large monticule,
Cette agitation demeure imperceptible. Un grand
Arbre déjà rougi par l'automne spécule
Solitaire au milieu de son vaste cadran.
De l'or pulvérisé tombe sur la colline :
A mesure que le soleil pâle décline,
Ce brouillard triomphal auréole Meudon
Puis un jeune passant qui répète : "Pardon,
Monsieur, n'auriez-vous pas deux francs, deux francs cinquante ?"
Tenant de l'autre main sa valise à brocante,
Il attend. Et je m'exécute. Encore un franc.
Je pense qu'il ira les fumer ou les boire.
Si l'on nous aperçoit depuis l'Observatoire,
Nous devons avoir l'air, dans le soir de safran,
D'un groupe antique et sur le point de faire un pacte.
En échange, de fait : "Avez-vous l'heure exacte ?"
Ai-je cru devoir dire alors qu'il s'éloignait.
D'un geste las il a découvert son poignet :
Rien. Mais sur l’herbe, un peu plus tard, son ombre oblique
Donnait l'heure (elle était juste et mélancolique).

   Jacques Réda, Retour au calme, poèmes. Gallimard, 1989, p.116



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          Photo 1 : Arman , "L'Heure de tous" (1985). Parvis de la gare Saint Lazare, Paris.
Liens
   ¤ à propos d’Arman: https://fr.wikipedia.org/wiki/Arma
  ¤ voir sur Wikipedia, "Heure (unité de temps)", et notamment le paragraphe intitulé "l'heure atomique" : https://fr.wikipedia.org/wiki/Heure_(unit%C3%A9_de_temps)

  

                                                  

2 commentaires:

  1. L'inconnu arpentait le soir avec hâte. Il tenait son chapeau d'une main, comme s'il eût fait grand vent, et de l'autre extrayait de sa poche une grosse montre argentée qui semblait éclairer la rue plus que les becs de gaz. Devant l'heure publique, il s'arrêtait pour régler le bel objet, et repartait dans un sens ou dans l'autre, les pans de sa redingote projetés à l'entour sans égard aux paisibles passants, qui, sortant de la Gaîté ou promenant une dernière fois un bichon confiné aux mansardes, se désignaient du menton cette silhouette sombre, agitée de souffles obscurs, et qui devant chaque cadran se trouvant alternativement en avance et en retard, s'immobilisait alors au son d'un minuscule cliquet d'acier. Et pour quelle fortune, cette fièvre ? Ou pour quel rendez-vous ?  A mesure que les fiacres s'espaçaient dans la nuit de Paris rendu au silence et aux solitudes, on eût dit que l'homme furtif ne redoutait qu'une chose: que les douze coups de minuit qu'égrainerait tout à l'heure le clocher voisin de Notre-Dame des Champs, le surprennent dans un état où se renverserait son destin vers des gouffres par lui seul entrevus.

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