dimanche 16 avril 2017

Je hume l'avril


                                                                 AVRIL

Ce qui vibre dans le cristal de l’air, c’est le mot même :
Avril, avec le frôlement des ailes des oiseaux,
Et les bords irisés du ciel paraissent trop fragiles
Pour contenir le bleu qui pétille sur les sillons.
La chaleur est comme une main qui nous touche l’épaule
Puis légère s’écarte et vient se poser sur le front,
Pendant qu’on cherche à découvrir, à moitié déjà saoule,
L’alouette qui boit à la source exultante du flot.

                             Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, p. 74






               CYRANO
                                (Changeant de ton et gravement.)
  J’aime.

               LE BRET
Et peut-on savoir ? Tu ne m’as jamais dit ?…

               CYRANO
Qui j’aime ?… Réfléchis, voyons. Il m’interdit
Le rêve d’être aimé même par une laide,
Ce nez qui d’un quart d’heure en tous lieux me précède ;
Alors moi, j’aime qui ?… Mais cela va de soi !
J’aime — mais c’est forcé ! — la plus belle qui soit !

               LE BRET
La plus belle ?…

               CYRANO
Tout simplement, qui soit au monde !
La plus brillante, la plus fine,
                                      (Avec accablement)
La plus blonde !

                LE BRET
Eh! mon Dieu, quelle est donc cette femme ?…

                 CYRANO
Un danger
Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer,
Un piège de nature, une rose muscade
Dans laquelle l’amour se tient en embuscade !
Qui connaît son sourire a connu le parfait.
Elle fait de la grâce avec rien, elle fait
Tenir tout le divin dans un geste quelconque,
Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque,
Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris,
Comme elle monte en chaise et marche dans Paris !…

               LE BRET
Sapristi ! je comprends. C’est clair !

               CYRANO
C’est diaphane.

               LE BRET
Magdeleine Robin, ta cousine !

               CYRANO
Oui, — Roxane.

               LE BRET
Eh bien ! mais c’est au mieux ! Tu l’aimes ? Dis-le-lui !
Tu t’es couvert de gloire à ses yeux aujourd’hui !

               CYRANO
Regarde-moi, mon cher, et dis quelle espérance
Pourrait bien me laisser cette protubérance !
Oh ! je ne me fais pas d’illusions ! — Parbleu,
Oui, quelquefois, je m’attendris, dans le soir bleu ;
J’entre en quelque jardin où l’heure se parfume ;
Avec mon pauvre grand diable de nez je hume
L’avril, — je suis des yeux, sous un rayon d’argent,
Au bras d’un cavalier, quelque femme, en songeant
Que pour marcher, à petits pas, dans de la lune,
Aussi moi j’aimerais au bras en avoir une,
Je m’exalte, j’oublie… et j’aperçois soudain
L’ombre de mon profil sur le mur du jardin !

               LE BRET, ému
Mon ami !…

               CYRANO
Mon ami, j’ai de mauvaises heures !
De me sentir si laid, parfois, tout seul…
     Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Folio classique p.117 à 119






  • Jacques Brel : La Quête (1968)
          Extrait de la comédie musicale L’Homme de la Mancha


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Liens:
   ¤ Cyrano de Bergerac; la pièce en ligne (avec coquilles):  https://www.atramenta.net/lire/oeuvre3576-chapitre-1.html
   ¤ à propos de la chanson La Quêtehttps://fr.wikipedia.org/wiki/La_Qu%C3%AAte_(chanson)

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