AVRIL
Ce qui vibre dans le cristal de l’air, c’est le mot même :Avril, avec le frôlement des ailes des oiseaux,Et les bords irisés du ciel paraissent trop fragilesPour contenir le bleu qui pétille sur les sillons.La chaleur est comme une main qui nous touche l’épaulePuis légère s’écarte et vient se poser sur le front,Pendant qu’on cherche à découvrir, à moitié déjà saoule,L’alouette qui boit à la source exultante du flot.
CYRANO(Changeant de ton et gravement.)J’aime.
LE BRETEt peut-on savoir ? Tu ne m’as jamais dit ?…CYRANOQui j’aime ?… Réfléchis, voyons. Il m’interditLe rêve d’être aimé même par une laide,Ce nez qui d’un quart d’heure en tous lieux me précède ;Alors moi, j’aime qui ?… Mais cela va de soi !J’aime — mais c’est forcé ! — la plus belle qui soit !LE BRETLa plus belle ?…CYRANOTout simplement, qui soit au monde !La plus brillante, la plus fine,(Avec accablement)La plus blonde !LE BRETEh! mon Dieu, quelle est donc cette femme ?…CYRANOUn dangerMortel sans le vouloir, exquis sans y songer,Un piège de nature, une rose muscadeDans laquelle l’amour se tient en embuscade !Qui connaît son sourire a connu le parfait.Elle fait de la grâce avec rien, elle faitTenir tout le divin dans un geste quelconque,Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque,Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris,Comme elle monte en chaise et marche dans Paris !…LE BRETSapristi ! je comprends. C’est clair !CYRANOC’est diaphane.LE BRETMagdeleine Robin, ta cousine !CYRANOOui, — Roxane.LE BRETEh bien ! mais c’est au mieux ! Tu l’aimes ? Dis-le-lui !Tu t’es couvert de gloire à ses yeux aujourd’hui !CYRANORegarde-moi, mon cher, et dis quelle espérancePourrait bien me laisser cette protubérance !Oh ! je ne me fais pas d’illusions ! — Parbleu,Oui, quelquefois, je m’attendris, dans le soir bleu ;J’entre en quelque jardin où l’heure se parfume ;Avec mon pauvre grand diable de nez je humeL’avril, — je suis des yeux, sous un rayon d’argent,Au bras d’un cavalier, quelque femme, en songeantQue pour marcher, à petits pas, dans de la lune,Aussi moi j’aimerais au bras en avoir une,Je m’exalte, j’oublie… et j’aperçois soudainL’ombre de mon profil sur le mur du jardin !LE BRET, émuMon ami !…CYRANOMon ami, j’ai de mauvaises heures !De me sentir si laid, parfois, tout seul…
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Folio classique p.117 à 119
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Liens:
¤ Cyrano de Bergerac; la pièce en ligne (avec coquilles): https://www.atramenta.net/lire/oeuvre3576-chapitre-1.html
¤ à propos de la chanson La Quête : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Qu%C3%AAte_(chanson)
¤ à propos de la chanson La Quête : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Qu%C3%AAte_(chanson)
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