dimanche 14 février 2016

Roland Barthes, le Renard et le Bouc



     Roland Barthes "seul dans le trou"' 


   Lorsque j’étais enfant, nous habitions un quartier appelé Marrac ; ce quartier était plein de maisons en construction dans les chantiers desquelles les enfants jouaient ; de grands trous étaient creusés dans la terre glaise pour servir de fondations aux maisons, et un jour que nous avions joué dans l’un de ces trous, tous les gosses remontèrent, sauf moi, qui ne le pus ; du sol, d’en haut, ils me narguaient : perdu ! seul ! regardé ! exclu ! (être exclu ce n’est pas être dehors, c’est être seul dans le trou, enfermé à ciel ouvert : forclos) ; j’ai vu alors accourir ma mère ; elle me tira de là et m’emporta loin des enfants, contre eux.
   Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Seuil, Écrivains de toujours n°96, 1975, p.133p. 125 *




                                                   

                                                          LE RENARD ET LE BOUC
Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami Bouc des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L’autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
                Là chacun d’eux se désaltère.
Après qu’abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compère ?
Ce n’est pas tout de boire, il faut sortir d’ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi :
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
                Je grimperai premièrement ;
                Puis sur tes cornes m’élevant,
                A l’aide de cette machine,
                De ce lieu-ci je sortirai,
                Après quoi je t’en tirerai. 
        Par ma barbe, dit l’autre, il est bon ; et je loue
                Les gens bien sensés comme toi.
                Je n’aurais jamais, quant à moi,
                Trouvé ce secret, je l’avoue.
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
                  Pour l’exhorter à patience.
Si le ciel t’eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
                Tu n’aurais pas, à la légère,
Descendu dans ce puits. Or, adieu : j’en suis hors.
Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts :
                Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin.

La Fontaine, Fables, L.III, fable V. Ed. de G. Couton. Classiques Garnier, p.89-90


  •  Fabrice Luchini : Variations sur les fables de La Fontaine

& & &

Notes :
 * R. Barthes à propos de la fable en général, voir ibidem p. 154: "Qu'est-ce que ça veut dire?" 
Références :   
   1ière photo, "TROU" : extrait du livre de Joël Guenoun « Les mots ont des visages », éd. Autrement, coll. Littératures, p.144
Liens :
 ¤ La Fontaine et ses fables en ligne :  http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/fables.htm
 ¤ cette fable écoutable en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=3JSGSdzzMEo
 ¤ à propos de Fabrice Luchini : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fabrice_Luchini
                            



1 commentaire:

  1. Considérons le bouc comme Roland forclos
    Tous-deux jouant du corps au fond d'un même trou
    Concourant à monter plus haut, vers la surface...
    Survient la mère, elle tend la main, souffle, glisse,
    Trois êtres vont hurler du coup dans la gadoue,
    Et nous voilà nantis d'une fable inédite.

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