commencé à être pratiqué à partir de l'époque des Centaures."
Jonathan Swift *
Le centaure
Chevauche à travers la terreJusqu’aux marges du lointainJusqu’à ce que ton dos humainSe coule dans la cuisse animale.Vol en toi réfrénéAutour de la terre des hommes et des purs-sangsDont le pouvoir corrompt toute chose.
Au trot, mais comme en vol,Tendu des cuisses au visage,Sois pour eux la plus antique unitéDe l’homme et de l’animal.Hannah Arendt, Heureux qui n’a pas de patrie. Poèmes de pensée, trad. F. Mathieu, Payot, 2015, p.181 **
Kentaur
Reite über die ErdeHin zu den Rändern der Weite,Bis Dein menschlicher RückenSich fügt in die tierischen Schenkel.Umflügle gebändigt in DirDie Erde der Menschen und Rosse,Denen alles die Herrschaft verdirbt.Trabend, doch wie im Fluge,Gestreckt von Gesicht zu den Schenkeln,Sei ihnen die ältere EinheitVon Mensch und Tier.
- Métamorphose d'Ocyrhoé, fille du centaure Chiron
Ocyrhoé, fille du centaure Chiron, dotée du don de prophétie, prédit à Esculape enfant, confié à son père, qu'il aura le pouvoir de guérir les mortels et aussi de les ressusciter, mais qu'il provoquera, en usant de ce pouvoir, la colère des dieux et sera foudroyé par Jupiter, avant de connaître une nouvelle existence.À son père Chiron, né immortel, Ocyrhoé prédit qu'il mourra, empoisonné par le sang d'un serpent. Mais la prophétesse en a trop dit et sa métamorphose en cavale l'empêche de terminer sa prophétie.
« Il lui restait encore une part
d’avenir à dévoiler. Des soupirs montent du fond de sa poitrine, et ses yeux se
remplissent de larmes qui coulent sur ses joues, puis : " Les
destins, dit-elle, m’empêchent de poursuivre ; il m’est interdit d’en dire
davantage, et voici que l’usage de la parole m’est retiré. Je ne faisais pas
tant de cas de ma science, qui a amassé sur moi la colère divine ; je
préfèrerais avoir ignoré l’avenir. Et déjà je sens que l’on me ravit les traits
humains ; déjà, pour nourriture, l’herbe m’attire, déjà mon élan m’emporte
à galoper dans les vastes plaines. Changée en cavale, je prends le corps de ma
famille. Mais pourquoi tout entier ? Mon père n’est bien qu’à demi-animal
!"
Comme elle parlait ainsi, la fin de ses
plaintes devint inintelligible ; ce ne furent plus que des mots confus.
Bientôt ce ne furent plus des mots, ni encore le cri d’une cavale : on eût
dit l’imitation de ce cri. Puis, au bout de peu de temps, elle poussa de vrais
hennissements et marcha avec ses bras dans l’herbe. Alors ses doigts se
rejoignirent, un léger sabot réunit ses cinq ongles dans une masse cornée, sa
tête et son cou s’allongèrent ; la plus longue partie de sa robe devint
une longue queue, et ses cheveux épars, répandus tels quels sur son cou, se
muèrent en crinière retombant sur le côté droit. Sa voix et son aspect furent,
du même coup, entièrement changés. Elle tira même le nom d’Hippé, la Cavale, de
ce prodige.»
Ovide, Les
métamorphoses (II, 633-675), trad. J. Chamonard, GF n°97 p.83***
« Restabat fatis aliquid: suspirat ab imis pectoribus, lacrimaeque genis labuntur obortae, atque ita praeuertunt inquit me fata, uetorque plura loqui, uocisque meae praecluditur usus. Non fuerant artes tanti, quae numinis iram contraxere mihi: mallem nescisse futura! Iam mihi subduci facies humana uidetur, iam cibus herba placet, iam latis currere campis impetus est: in equam cognataque corpora uertor. Tota tamen quare ? Pater est mihi nempe biformis.
Talia dicenti pars est extrema querellae intellecta parum confusaque uerba fuerunt; mox nec uerba quidem nec equae sonus ille uidetur sed simulantis equam, paruoque in tempore certos edidit hinnitus et bracchia mouit in herbas. Tum digiti coeunt et quinos alligat ungues perpetuo cornu leuis ungula, crescit et oris et colli spatium, longae pars maxima pallae cauda fit, utque uagi crines per colla iacebant, in dextras abiere iubas, pariterque nouata est et uox et facies; nomen quoque monstra dedere.» ****- Une leçon de philosophie : la métamorphose. Entretien entre Raphaël Enthoven, philosophe, et Patrick Dandrey, docteur ès lettres (26 mn).
& & &
Légendes :
- Photo : César. Le
Centaure.1985. Commande de l’État, place Michel Debré, à l’angle des rues
de Sèvres et du Cherche-Midi, Paris 6e (ph. personnelle)
Notes :
* Jonathan Swift, Mémoires
de Martin Scriblerus, in "Œuvres", Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade p.617
** Titre allemand de l'ouvrage : Hannah Arendt, Ich selbst, auch
ich tanze. Die Gedichte
*** traduction revue,
notamment quant à la concordance des temps du récit.
**** version en latin : Itinera Electronica – Université catholique de Louvain : http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/ovideII/texte.htm
**** version en latin : Itinera Electronica – Université catholique de Louvain : http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/ovideII/texte.htm
Liens :
¤ Jonathan Swift : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jonathan_Swift
J'aime particulièrement la photo de la fresque. Elle me parle de multiples métamorphoses. Cette photographie fait des ponts : de la peinture à la réalité, du lointain à la proximité, de la fermeture à l'horizon, de nos yeux fermés à nos cœurs ouverts. Elle abolit les murs.
RépondreSupprimerVoilà un dossier/porte-folio particulièrement réussi, au bonheur de s'y perdre. Les fins comparatistes qui se dissimulent sous le pseudonyme transparent de Permi4 (Pierre et Rémi Michal-Catrin, avancerai-je) réalisent ici un chef d’œuvre d'assemblage, dont le travail dans l'espace de César, redoublé par l'image du centaure qu'il affectionne, offre une puissante idée. Que vient faire ici Hannah Arendt ? Ce serait à elle de le dire ; mais il semble qu'alliant les deux faces inconciliables de la métamorphose, altération et recouvrement d'une mythique intégrité, recomposition et puissance, elle dépeint ici la tâche épuisante et exaltante de l'homme, autrement que le Sysiphe d'Albert Camus. C'est plus remuant aussi que le berger de l'être de Martin Heidegger...
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