lundi 1 février 2016

Feux de croisement . . . romances


                                   



LA VITRINE D’UN BUREAU DE TABAC

Ils étaient là, près de la vitrine très éclairée
d’un bureau de tabac, parmi beaucoup d’autres.
Leurs regards se croisèrent par hasard,
et le désir inavouable de leur chair
s’y exprima gauchement, avec gêne.
Puis quelques pas hésitants sur le trottoir –
jusqu’à ce qu’ils échangent un sourire, un léger signe.

Alors ce fut la voiture bien fermée …
le rapprochement passionné des corps ;
l’union des mains, l’union des lèvres.

 Constantin Cavafis, Poèmes (1916-1918) in « En attendant les barbares et autres poèmes », trad. D. Grandmont, Poésie/Gallimard, p.125

 



   Léon fuyait, car il lui semblait que son amour, qui, depuis deux heures
bientôt, s’était immobilisé dans l’église, comme les pierres, allait maintenant
s’évaporer telle qu’une fumée, par cette espèce de tuyau tronqué, de
cage oblongue, de cheminée à jour, qui se hasarde si grotesquement sur
la cathédrale, comme la tentative extravagante de quelque chaudronnier
fantaisiste.
   – Où allons-nous donc ? disait-elle.
   Sans répondre, il continuait à marcher d’un pas rapide, et déjà madame
Bovary trempait son doigt dans l’eau bénite, quand ils entendirent
derrière eux un grand souffle haletant, entrecoupé régulièrement par le
rebondissement d’une canne. Léon se détourna.
   – Monsieur !
   – Quoi ?
   Et il reconnut le suisse, portant sous son bras et maintenant en équilibre
contre son ventre une vingtaine environ de forts volumes brochés. C’étaient
les ouvrages qui traitaient de la cathédrale.
   – Imbécile ! grommela Léon s’élançant hors de l’église.
   Un gamin polissonnait sur le parvis :
   – Va me chercher un fiacre !
   L’enfant partit comme une balle, par la rue des Quatre-Vents ; alors ils
restèrent seuls quelques minutes, face à face et un peu embarrassés.
   – Ah ! Léon !… Vraiment…, je ne sais… si je dois… !
Elle minaudait. Puis, d’un air sérieux :
   – C’est très inconvenant, savez-vous ?
   – En quoi ? répliqua le clerc. Cela se fait à Paris !
   Et cette parole, comme un irrésistible argument, la détermina.
   Cependant le fiacre n’arrivait pas. Léon avait peur qu’elle ne rentrât dans
l’église. Enfin le fiacre parut.
   – Sortez du moins par le portail du nord ! leur cria le suisse, qui était
resté sur le seuil, pour voir la Résurrection, le Jugement dernier, le Paradis,
le Roi David, et les Réprouvés dans les flammes d’enfer.
   – Où Monsieur va-t-il ? demanda le cocher.
   – Où vous voudrez ! dit Léon poussant Emma dans la voiture.
   Et la lourde machine se mit en route. »

   Gustave Flaubert, Madame Bovary, in “Œuvres complètes”, coll. L’Intégrale, Éditions du Seuil, p.656-657




 « ... le duc de Guermantes [...] parlait du même ton cérémonieusement méprisant des "chansons de mademoiselle Yvette Guilbert" et des "expériences de monsieur  Charcot".»  M. Proust  *
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Η προθήκη του καπνοπωλείου
 
Κοντά σε μια κατάφωτη προθήκη
καπνοπωλείου εστέκονταν, ανάμεσα σ’ άλλους πολλούς.
Τυχαίως τα βλέμματά των συναντήθηκαν,
και την παράνομην επιθυμία της σαρκός των
εξέφρασαν δειλά, διστακτικά.
Έπειτα, ολίγα βήματα στο πεζοδρόμιο ανήσυχα —
ως που εμειδίασαν, κ’ ένευσαν ελαφρώς.

Και τότε πια το αμάξι το κλεισμένο ....
το αισθητικό πλησίασμα των σωμάτων·
τα ενωμένα χέρια, τα ενωμένα χείλη.
 Κ.Π. Καβάφης
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Notes :
 * Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, II chap. III, Folio classique p.473
Liens :
   ¤ Francis Cabrel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Cabrel
   ¤ Yvette Guilbert : https://fr.wikipedia.org/wiki/Yvette_Guilbert
   ¤  version grecque du poème de C. Cavafis :http://dornac.eklablog.com/constantin-cavafis-la-vitrine-du-bureau-de-tabac-a83429660 

2 commentaires:

  1. Belle balade, littérature, fantaisie et musique. J'aime bien le mélange des genres

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  2. Sensation suprêmement agréable, celle d'avoir eu une grand'mère chantant volontiers Le Fiacre, de Xanrof, et une mère feignant l'indignation : "Oh : les enfants !" Sensation d'avoir été véritablement et doublement enfant, en quelque sorte.

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