mardi 23 février 2016

Du haut de mon arbre




 

   Côme était dans son yeuse. Les branches s'agitaient, ponts jetés très loin au-dessus du sol. Un léger vent soufflait et le soleil brillait au travers du feuillage. Pour apercevoir Côme, nous devions faire un abat-jour de nos mains. Côme regardait le monde du haut de son arbre : tout, vu de là, était différent. C'était un premier sujet d'amusement. L'allée apparaissait dans une tout autre perspective, et après elle les plates-bandes, les hortensias, les camélias, la table de fer sur laquelle on prenait le café dans le jardin. Plus loin, les chevelures des arbres étaient de plus en plus clairsemées ; les potagers devenaient de petits champs échelonnés, soutenus par des murs de pierre ; le dos de la colline, plus sombre, était couvert d'oliveraies ; derrière, le hameau d'Ombreuse offrait ses toits de brique et d'ardoise ; en bas, on voyait pointer les antennes des bateaux : là se trouvait le port. Tout au fond, c'était la mer, haute sur l'horizon; lentement passait un voilier.
   Italo Calvino (1923-1985), Le baron perché (1957), chap. II, trad. J. Bertrand. Éditions du Seuil, Points n°R10 p. 22 


  

   Cosimo era sull’elce. I rami si sbracciavano, alti ponti sopra la terra.Tirava un lieve vento; c’era sole. Il sole era tra le foglie, e noi per vedere Cosimo dovevamo farci schermo con la mano. Cosimo guardava il mondo dall’albero : ogni cosa,vista di lassù, era diversa, e questo era già un divertimento. Il viale aveva tutt’un’altra prospettiva, e le aiole, le ortensie, le camelie, il tavolino di ferro per prendere il caffè in giardino. Più in là le chiome degli alberi si sfìttivano el’ortaglia digradava in piccoli campi a scala, sostenuti da muri di pietre; il dosso era scuro di oliveti, e, dietro,l’abitato d’Ombrosa sporgeva i suoi tetti di mattone sbiadito e ardesia, e ne spuntavano pennoni di bastimenti, là dove sotto c’era il porto. In fondo si stendeva il mare, alto d’orizzonte, ed un lento veliero vi passava.
   Italo Calvino, Il barone rampante
 



   

   Il empoigna la branche la plus accessible et s'y hissa sur un genou, puis debout, songeant vaguement qu'il jouirait du lever du soleil quelques minutes plus tôt s'il grimpait au sommet de l'arbre. Il gravit sans difficulté les étages successifs de la charpente avec l'impression grandissante de se trouver prisonnier - et comme solidaire - d'une vaste structure, infiniment ramifiée, qui partait du tronc à l'écorce rougeâtre et se développait en branches, branchettes, tiges et tigelles, pour aboutir aux nervures des feuilles triangulaires, piquantes, squamiformes et enroulées en spirale autour des rameaux. Il participait à l'évidente fonction de l'arbre qui est d'embrasser l'air de ses milliers de bras, de l'étreindre de ses millions de doigts. A mesure qu'il s'élevait, il devenait sensible à l'oscillation de l'architecturale membrure dans laquelle le vent passait avec un ronflement d'orgue. Il approchait de la cime quand il se trouva soudain environné de vide. Sous l'effet de la foudre, peut-être, le tronc se trouvait écuissé en cet endroit sur une hauteur de six pieds. Il baissa les yeux pour échapper au vertige. Sous ses pieds, un fouillis de branches disposées en plans superposés s'enfonçait en tournant dans une étourdissante perspective. 
   Michel Tournier (1924-2016), Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967), Gallimard, Folio n°133, p. 202-203
 





  • Georges Brassens, heureux auprès de son arbre





Liens :
 ¤  I. Calvino, dati biografici ed Il barone rampante  : http://www.sie.calabria.it/public/sie/barone_rampante.pdf
     et dans Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Italo_Calvino  
 ¤  Michel Tournier : https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Tournier