« Un tunnel de verdure au milieu de l’aridité crayeuse.
Douceur du linéament dessiné par une Marne étrangère au monde de l’agriculture
intensive. Le déroulé soyeux sauve de la monotonie ce paysage de plaine. La
Champagne, la vraie, la seule qui mérite son nom, ignore le corridor boisé de
la rivière. La poussière et l’humide: deux mondes opposés.
Les champs de
luzerne et de betteraves couvrant à perte de vue l’ancienne « mer de plâtre »
donnent le vertige : stries laissées par le passage des machines, bandes,
entailles, sillons. Ces hachures, ces arêtes contrastent avec la flexibilité de
la rivière. La craie est l’agent clandestin qui travaille dans les profondeurs.
Elle surexcite, enflamme l’étendue céréalière. Sans le blanc qui rumine, aucune
couleur en surface. Le trait vert de la Marne souligne la réverbération de la
lumière qui crève les yeux. Les ombres que les nuages font courir sur les
champs en atténuent la dureté. On est loin de la rambleur. »
Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne (2013), § 41, L. de P. p.191
La Rivière
D’un bord à
l’autre bord j’ai passé la rivière,
Suivant à pied le pont qui la franchit d’un jet
Et mêle dans les eaux son ombre et son reflet
Au fil bleui par le savon des lavandières.
J’ai marché
dans le gué qui chante à sa manière.
Étoiles et cailloux sous mes pas le jonchaient.
J’allais vers le gazon, j’allais vers la forêt
Où le vent frissonnait dans sa robe légère.
J’ai nagé.
J’ai passé, mieux vêtu par cette eau
Que par ma propre chair et par ma propre peau.
C’était hier. Déjà l’aube et le ciel s’épousent.
Et voici que
mes yeux et mon corps sont pesants,
Il fait clair et j’ai soif et je cherche à présent
La fontaine qui chante au cœur d’une pelouse.
Robert
Desnos, Contrée (1944), in Œuvres, Quarto Gallimard p.1160
« Trempées
les riches pièces de terre brune en pente s’exaltent jusqu’au violet. En bas un
chemin part, il m’emporte. Je les connais les histoires où mène ce chemin et sa
crinière d’herbe, je les devine ou je m’en souviens. Elles tiennent toutes dans
l’instant où quelqu’un s’en va dans ce tumulte, entre les bois, des bleus aussi
pâles que sa colère. Et je retraverse la Marne horripilée par une averse, le
ciel d’un seul coup noir, d’autres chemins obliquant sous d’autres cargaisons
de nuages qui filent, pèsent si fort en tous sens qu’un four en fusion craque
et déverse au ras des collines. La suite de l’histoire n’est rien : des
gestes et des mots qui s’émiettent. Or je ne tiens qu’à ces commencements muets
avant la nuit qui précipite, moi qui repars – et de nouveau le ciel ému de
fureurs et de délicatesses, et puis la fin, quand je n’ai plus qu’à poser mon
front contre la vitre, parmi ces rares lumières piquées dans le reflet méchant
de mon œil. »
Jacques Réda, Les Ruines de Paris (1977), Poésie/Gallimard
p.133
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Et j'emprunte le chemin qui s'ouvre, menant à des textes rencontrés autrefois mais qui de nouveau se mettent à parler la langue de l'escapade. Je sais que je pourrai les retrouver ici au croisement, palpitant d'images, délicieusement offerts.
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