vendredi 29 mai 2015

Au milieu coule une rivière.



« Un tunnel de verdure au milieu de l’aridité crayeuse. Douceur du linéament dessiné par une Marne étrangère au monde de l’agriculture intensive. Le déroulé soyeux sauve de la monotonie ce paysage de plaine. La Champagne, la vraie, la seule qui mérite son nom, ignore le corridor boisé de la rivière. La poussière et l’humide: deux mondes opposés.                                                                                                              
   Les champs de luzerne et de betteraves couvrant à perte de vue l’ancienne « mer de plâtre » donnent le vertige : stries laissées par le passage des machines, bandes, entailles, sillons. Ces hachures, ces arêtes contrastent avec la flexibilité de la rivière. La craie est l’agent clandestin qui travaille dans les profondeurs. Elle surexcite, enflamme l’étendue céréalière. Sans le blanc qui rumine, aucune couleur en surface. Le trait vert de la Marne souligne la réverbération de la lumière qui crève les yeux. Les ombres que les nuages font courir sur les champs en atténuent la dureté. On est loin de la rambleur. »      

   Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne (2013), § 41, L. de P. p.191
                                                                                

              La Rivière

D’un bord à l’autre bord j’ai passé la rivière,
Suivant à pied le pont qui la franchit d’un jet
Et mêle dans les eaux son ombre et son reflet
Au fil bleui par le savon des lavandières.

J’ai marché dans le gué qui chante à sa manière.
Étoiles et cailloux sous mes pas le jonchaient.
J’allais vers le gazon, j’allais vers la forêt
Où le vent frissonnait dans sa robe légère.

J’ai nagé. J’ai passé, mieux vêtu par cette eau
Que par ma propre chair et par ma propre peau.
C’était hier. Déjà l’aube et le ciel s’épousent.

Et voici que mes yeux et mon corps sont pesants,
Il fait clair et j’ai soif et je cherche à présent
La fontaine qui chante au cœur d’une pelouse.

   Robert Desnos, Contrée (1944), in Œuvres, Quarto Gallimard p.1160

                                                                                                                                                 « Trempées les riches pièces de terre brune en pente s’exaltent jusqu’au violet. En bas un chemin part, il m’emporte. Je les connais les histoires où mène ce chemin et sa crinière d’herbe, je les devine ou je m’en souviens. Elles tiennent toutes dans l’instant où quelqu’un s’en va dans ce tumulte, entre les bois, des bleus aussi pâles que sa colère. Et je retraverse la Marne horripilée par une averse, le ciel d’un seul coup noir, d’autres chemins obliquant sous d’autres cargaisons de nuages qui filent, pèsent si fort en tous sens qu’un four en fusion craque et déverse au ras des collines. La suite de l’histoire n’est rien : des gestes et des mots qui s’émiettent. Or je ne tiens qu’à ces commencements muets avant la nuit qui précipite, moi qui repars – et de nouveau le ciel ému de fureurs et de délicatesses, et puis la fin, quand je n’ai plus qu’à poser mon front contre la vitre, parmi ces rares lumières piquées dans le reflet méchant de mon œil. »
   Jacques Réda, Les Ruines de Paris (1977), Poésie/Gallimard p.133

 

                                                                                                                                                       
Liens :

  •  J.P. Kauffmann : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_Kauffmann                                                                                                                                                                              
  • Jacques Réda : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_R%C3%A9da                                                                                                                                                          
 



1 commentaire:

  1. Et j'emprunte le chemin qui s'ouvre, menant à des textes rencontrés autrefois mais qui de nouveau se mettent à parler la langue de l'escapade. Je sais que je pourrai les retrouver ici au croisement, palpitant d'images, délicieusement offerts.

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