- BAYONNE, France
« Chez Proust, trois sens sur cinq conduisent le souvenir. Mais pour moi, mise à part la voix, moins sonore au fond que, par son grain, parfumée, le souvenir, le désir, la mort, le retour impossible, ne sont pas de ce côté-là ; mon corps ne marche pas dans l’histoire de la madeleine, des pavés et des serviettes de Balbec. De ce qui ne reviendra plus, c’est l’odeur qui me revient. Ainsi l’odeur de mon enfance bayonnaise : tel le monde encerclé par le mandala , tout Bayonne est ramassé dans une odeur composée, celle du Petit Bayonne (quartier entre la Nive et l'Adour): la corde travaillée par les sandaliers, l'épicerie obscure, la cire des vieux bois, les cages d'escalier sans air, le noir des vieilles Basquaises, noires jusqu'à la cupule d'étoffe qui tenait leur chignon, l'huile espagnole, l'humidité des artisanats et des petit commerces (relieurs, quincailliers), la poussière de papier de la bibliothèque municipale (où j'appris la sexualité dans Suétone et Martial), la colle des pianos en réparation chez Bossière, quelque effluve de chocolat, produit de la ville, tout cela consistant, historique, provincial et méridional. (Dictée)(Je me rappelle avec folie les odeurs : c’est que je vieillis.) »Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Odeurs, Seuil, coll. Écrivains de toujours, 1975, p.139
- TRUJILLO, Pérou
« Las ciudades, como las
personas o las casas, tienen un olor particular, muchas veces una pestilencia.
Mientras recorría las calles rectas de Trujillo, me sentía envuelto por una
transpiración secreta que emanaba no se sabía de dónde, quizás de los zaguanes,
de los sótanos condenados o de las alcantarillas. Una presencia olfativa me
cercaba y me recordaba a cada paso mi condición de forastero, de hijo de tierra
extraña. Yo andaba a manotazos bajo el duro sol y los balcones morunos,
recordando que en Lima, años atrás, cuando iba a las calles del centro, había
sentido también el olor de la ciudad. Lima, decían las viejas, olía a ropa
guardada. Para mí olió siempre a baptisterio, a beata de pañolón, a sacristán
ventrudo y polvoriento. Pero Trujillo olía a otra cosa. Era un olor amarillo,
en todo caso, un olor que tenía algo que ver con las yemas de huevo, los
helados Imperial o ese sol ambarino que penetraba todos los objetos. »
Julio Ramón Ribeyro, Crónica de San Gabriel
« Les villes, comme les maisons et les êtres, ont
une odeur particulière, souvent même une puanteur. En parcourant les rues
droites de Trujillo, je sentais autour de moi une transpiration secrète qui
émanait on ne savait trop d’où, peut-être bien des vestibules, des sous-sols
condamnés ou des égouts. La présence de cette odeur qui me cernait me rappelait
à chaque pas que j’étais ici un étranger, que j’étais l’enfant d’une autre
terre. Je marchais à grandes enjambées sous le soleil de plomb et les balcons
mauresques, me souvenant qu’à Lima, quelques années auparavant, quand je me
rendais dans les rues principales, je surprenais de la même manière l’odeur de
la ville. Lima, disaient les vieilles femmes, sentait le linge renfermé. Pour
moi elle a toujours senti le baptistère, la vieille bigote et le sacristain
ventru et poussiéreux. Mais l’odeur de Trujillo était différente.
C’était, en tout cas, une odeur jaune, une odeur qui n’était pas sans rapport
avec le jaune d’œuf, la glace à la vanille ou ce soleil qui pénétrait tous les
objets.»
Julio Ramon Ribeyro, Chronique de San Gabriel, I, Le Voyage, trad.
de l'espagnol (Pérou) par Clotilde Bernardi Prad, Gallimard, coll. La Croix du
Sud, p.9
- BRUXELLES, Belgique
« BRUXELLES. Physionomie de la rue.
Premières impressions. On dit que chaque ville, chaque pays a son odeur. Paris, dit-on, sent ou sentait le chou aigre. Le Cap sent le mouton. Il y a des îles tropicales qui sentent la rose, le musc ou l’huile de coco. La Russie sent le cuir. Lyon sent le charbon. L’Orient, en général, sent le musc et la charogne. Bruxelles sent le savon noir. Les chambres d’hôtel sentent le savon noir. Les lits sentent le savon noir. Les serviettes sentent le savon noir. Les trottoirs sentent le savon noir. Lavage des façades et des trottoirs même quand il pleut à flots. Manie nationale, universelle.»Charles Baudelaire, Pauvre Belgique, O.C., Seuil l’Intégrale, p.654
Références :
- 1ière
photo : Marie T-D au piano (archives familiales)
Liens :
* A propos de Roland Barthes, Cherbourg 1915- Paris 1980 : - Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Roland_Barthes - Biographie de R.B. par Tiphaine Samoyault: relation et interviews par lien avec vidéos associées : http://www.seuil.com/livre-9782021010206.htm
* A propos de Roland Barthes, Cherbourg 1915- Paris 1980 : - Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Roland_Barthes - Biographie de R.B. par Tiphaine Samoyault: relation et interviews par lien avec vidéos associées : http://www.seuil.com/livre-9782021010206.htm
* A propos de Julio Ramon Ribeyro, Lima 1929 - 1994 : - Wikipedia; notice plus complète en espagnol : http://es.wikipedia.org/wiki/Julio_Ram%C3%B3n_Ribeyro - Crónica de San Gabriel, 1er chap. en espagnol : http://pesopluma.net/web/descargas/cronica_de_san_gabriel_ribeyro/Cronica_de_San_Gabriel_JR_Ribeyro_Capitulo_1.pdf
"tout cela consistant, historique, provincial et méridional" RB sans armure
RépondreSupprimerJ'aime cette visite impromptue à Trujillo... Je ne m'impose pas, je ne fais que passer, au revoir et merci.
Cf "Les Odeurs de Paris", truculent pamphlet réactionnaire, superbement écrit, accessible sur Gallica, de Louis Veuillot.
"Peut-on se nourrir d'odeurs ? cf Diogène Laërce, sur Démocrite.
C'est aussi un fabliau...
Bravo pour ce thème si riche.