vendredi 6 mars 2015

Emmenez-moi ! Emportez-moi !






 "Jo 34e ur Ms nnaée.riervéf,349 " *

  «Non, je n’ai plus la force d’endurer cela! Mon Dieu! que font-ils de moi? Ils me versent de l’eau froide sur la tête. Ils ne m’écoutent pas, ne me voient pas, ne m’entendent pas. Que leur ai-je fait? Pourquoi me tourmentent-ils? Que veulent-ils de moi, malheureux? Que puis-je leur donner? Je n’ai rien. Je suis à bout, je ne peux plus supporter leurs tortures; ma tête brûle, et tout tourne devant moi. Sauvez-moi! Emmenez-moi! Donnez-moi une troïka de coursiers rapides comme la bourrasque! Monte en selle, postillon, tinte, ma clochette! Coursiers, foncez vers les nues et emportez-moi loin de ce monde! Plus loin, plus loin, qu’on ne voie plus rien, plus rien. Là-bas, le ciel tournoie devant mes yeux: une petite étoile scintille dans les profondeurs; une forêt vogue avec ses arbres sombres, accompagnée de la lune; un brouillard gris s’étire sous mes pieds; une corde résonne dans le brouillard; d’un côté la mer, de l’autre l’Italie; tout là-bas, on distingue même les izbas russes. Est-ce ma maison cette tache bleue dans le lointain? Est-ce ma mère qui est assise devant la fenêtre? Maman! Sauve ton malheureux fils! Laisse tomber une petite larme sur sa tête douloureuse! Regarde comme on le tourmente! Serre le pauvre orphelin contre ta poitrine! Il n’a pas sa place sur la terre! On le pourchasse! Maman! Prends en pitié ton petit enfant malade!... Hé, savez-vous que le dey d’Alger a une verrue juste en dessous du nez?» 
 * transcription du texte ici référencé
Nicolas Gogol, Le Journal d'un fou, trad. Sylvie Luneau, in Les Nouvelles pétersbourgeoises (1835-1842), Nouvelles complètes, Quarto Gallimard p.778


     
          EMPORTEZ-MOI

Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.

Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.

Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.

Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.

   Henri Michaux. Mes propriétés, 1930, in La Nuit remue, 1935. NRF Poésie / Gallimard p.171.



Références :
  • photo 1 :"L'Ecoute" de Henri de Miller, grès, 1986; parvis de l’église St-Eustache, place René Cassin, Paris 1er
  • merci à mon frère de m'avoir fait connaître, par une harmonieuse mise en musique, le poème d'Henri Michaux  que j'ai toujours emporté avec moi durant mes pérégrinations à travers le monde. 
Liens:
  • Henri Michaux: http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Michaux

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