Une aventure vus dirai
Dunt li Bretun firent un lai.
Laüstic ad nun, ceo m'est vis,
Si l'apelent en lur païs;
Ceo es "russignol" en franceis
E "nihtegale" en dreit engleis.
Marie de France
William Shakespeare, Roméo et Juliette
La chambre à coucher
de Juliette.
Entrent Roméo et
Juliette.
JULIETTE
Veux-tu
donc partir ? le jour n’est pas proche encore : c’était le rossignol
et non l’alouette dont la voix perçait ton oreille craintive. Toutes les nuits
il chante sur le grenadier là-bas. Crois-moi, amour c’était le rossignol.
ROMÉO
C’était
l’alouette, la messagère du matin, et non le rossignol. Regarde, amour, ces
lueurs jalouses qui dentellent le bord des nuages à l’orient ! Les
flambeaux de la nuit sont éteints, et le jour joyeux se dresse sur la pointe du
pied au sommet brumeux de la montagne. Je dois partir et vivre, ou rester et
mourir.
JULIETTE
Cette
clarté là-bas n’est pas la clarté du jour, je le sais bien, moi ; c’est
quelque météore que le soleil exhale pour te servir de torche cette nuit et
éclairer ta marche vers Mantoue. Reste donc, tu n’as pas besoin de partir
encore.
ROMÉO
Soit !
qu’on me prenne, qu’on me mette à mort ; je suis content, si tu le veux
ainsi. Non, cette lueur grise n’est pas le regard du matin, elle n’est que le
pâle reflet du front de Cynthia ; et ce n’est pas l’alouette qui frappe de
notes si hautes la voûte du ciel au-dessus de nos têtes. J’ai plus le désir de
rester que la volonté de partir. Vienne la mort, et elle sera bien
venue !… Ainsi le veut Juliette… Comment êtes-vous, mon âme ?
Causons, il n’est pas jour.
JULIETTE
C’est
le jour, c’est le jour ! Fuis vite, va-t’en, pars : c’est l’alouette
qui détonne ainsi, et qui lance ces notes rauques, ces strettes déplaisantes.
On dit que l’alouette prolonge si doucement les accords ; cela n’est pas,
car elle rompt le nôtre. On dit que l’alouette et le hideux crapaud ont changé
d’yeux : oh ! que n’ont-ils aussi changé de voix, puisque cette voix
nous arrache effarés l’un à l’autre et te chasse d’ici par son hourvari matinal !
Oh ! maintenant, pars. Le jour est de plus en plus clair.
ROMÉO
De
plus en plus clair ?… De plus en plus sombre est notre malheur.
William
Shakespeare, Roméo et Juliette, III,
5. Trad. F.-V. Hugo, in Théâtre complet, éd. Classiques Garnier t.1, p. 827
Chateaubriand, Les Mémoires d'Outre-Tombe
[...]
Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait par intervalles. A la percée d'un fourré, je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des nuages au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés.
Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître.
Chateaubriand, Les Mémoires d'Outre-Tombe, 1ière partie, livre III, chap.1, Montboisier, juillet 1817. - Promenade. - Apparition de Combourg. Livre de Poche t.1, p.91-92
William Shakespeare, Romeo and Juliet
Capulet's orchard.Enter Romeo and Juliet aloft, at the Window.Juliet. Wilt thou be gone? It is not yet near day.
It was the nightingale, and not the lark,
That pierc'd the fearful hollow of thine ear.
Nightly she sings on yond pomegranate tree.
Believe me, love, it was the nightingale.Romeo. It was the lark, the herald of the morn;
No nightingale. Look, love, what envious streaks
Do lace the severing clouds in yonder East.
Night's candles are burnt out, and jocund day
Stands tiptoe on the misty mountain tops.
I must be gone and live, or stay and die.Juliet. Yond light is not daylight; I know it, I.
It is some meteor that the sun exhales
To be to thee this night a torchbearer
And light thee on the way to Mantua.
Therefore stay yet; thou need'st not to be gone.Romeo. Let me be ta'en, let me be put to death.
I am content, so thou wilt have it so.
I'll say yon grey is not the morning's eye,
'Tis but the pale reflex of Cynthia's brow;
Nor that is not the lark whose notes do beat
The vaulty heaven so high above our heads.
I have more care to stay than will to go.
Come, death, and welcome! Juliet wills it so.
How is't, my soul? Let's talk; it is not day.Juliet. It is, it is! Hie hence, be gone, away!
It is the lark that sings so out of tune,
Straining harsh discords and unpleasing sharps.
Some say the lark makes sweet division;
This doth not so, for she divideth us.
Some say the lark and loathed toad chang'd eyes;
O, now I would they had chang'd voices too,
Since arm from arm that voice doth us affray,
Hunting thee hence with hunt's-up to the day!
O, now be gone! More light and light it grows.Romeo. More light and light- more dark and dark our woes!
- Jean-Philippe Rameau (Dijon 1683, Paris 1764) : Le rappel des oiseaux
Références:
¤ Marie de France, Les Lais, publiés par Jean Rychner, éd. Honoré Champion, 1978, p.121
Liens :
¤ Marie de France (1160-1210) ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_de_France_(po%C3%A9tesse)
¤ W. Shakespeare (1564-1616) : https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Shakespeare
¤ Chateaubriand (1768-1848) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Ren%C3%A9_de_Chateaubriand
¤ Jean-Philippe Rameau : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Philippe_Rameau
Le jour baisse, la chasse se termine, une sonnerie de corne rappelle les faucons, les éperviers, et dans la fatigue et l'exaltation de cette journée, c'est un spectacle majestueux que le retour de ces grands volatiles, penauds ou victorieux, à la verticale des chevaux, au centre du bavardage de mille oiseaux dans les halliers... Dames et messieurs y sogent autour du clavecin.
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