René Duvillier. Les Javelots et la mer. 1962 |
Le jeune homme et la mer
La mer s’enfuyait devant luiavec sa traîne de dentelles bruissantesemportant ses bijoux ses voiles ses cailloux.Il courut d’abord vivementjoyeusement, le vent du largeentrait dans ses poumons. Mais la frange d’écumetoujours courait un peu plus loin,menu murmure d’ironie.Comme un chasseur à la poursuited’une bête démesuréeil courut il courut longuement longuementjusqu’à perdre le souffle et gagner le délire.Le soir était tombé. Vint la nuit. Mais les vaguesavaient continué leur fuite dans le vent.On eût dit que la meravait oublié sa coutumeson rythme son repos ses soupirs ses marées.Alors il courut haletant,le cœur sur le point de se romprele front près d’éclater, les pieds en sang.Mais toujours mais toujours l’horizon reculaitet dans les astres se plongeait.La nuit passa puis vint la première aubeune seconde nuit un second jouret pendant douze jours et douze nuitspour atteindre la mer il courut vainement.Un soir cette plage sans finpeu à peu descendant les rampes du soleill’entraîna jusqu’au fond des fosses bourdonnantesd’un grand théâtre abandonnéoù des foules de gensen habits d’apparats couverts de coquillageschantaient sans voix, dormant debout.Quand les premiers accords sonnèrent dans l’orchestre,alors la mer cessa de fuir devant cet hommeet sur lui referma lentementsa robe immense et maternelleet l’odeur de l’amour et le bruit des cailloux.Jean Tardieu, Histoires obscures (1961), in « Le fleuve caché, Poésies : 1938-1961 », Poésie / Gallimard, p.232-233
Léo Ferré, La Mémoire et la mer, 1970
Liens :
¤ à propos de René Duvillier : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Duvillier
¤ R. Duvillier dans la collection d'André Breton : http://www.andrebreton.fr/work/56600100547700
¤ La Mémoire et la mer : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_M%C3%A9moire_et_la_mer
Belle surprise que cette apparition soudaine sur ton blog des magnifiques Javelots de la mer, qui m'ont toujours beaucoup impressionnée. Harmonieuse association avec le beau poème de Tardieu...
RépondreSupprimerJe me souviens de Duvillier, de sa voix puissante, de ses doutes. Il se penchait sur la couleur, sa toile à plat sur le sol, maniant chiffons ou cotons imprégnés d'essence de préférence à la brosse. Aucune économie à faire sur la couleur, disait-il, il lui fallait la meilleure qualité, je me souviens de ses adages : et le geste, inlassablement, le geste juste, ample, auquel le corps croyait mais qui parfois laissait incertain l'esprit de l'homme, et le regard. Un jour, il me parla des anges, je ne sais plus pourquoi. Ou bien c'était à propos d'un épisode de son enfance, où à huit ou treize ans, le croup l'ayant laissé pour mourant, les chants des religieuses alentour l'avaient, croyait-il, rendu à la vie. Un autre jour, il parla des plinthes qu'il avait peintes en orange, c'est cette couleur qui manquait encore à sa maison. Je me souviens de sa jubilation, plus tard, lorsqu'il vit son nom inscrit dans le Larousse. Une joie de gosse, un rire sonore, comme s'il savait désormais pourquoi il avait misé toute sa vie sur la peinture, avec l'indéfectible soutien, à ses côtés, de sa compagne... René Duvillier, peintre.
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