Pour celles et ceux qui
ici ou ailleurs
en ont pâti.
____ L'inondation
Pourtant,
j’étais allé devant la fenêtre. Comme Gaspard venait m’y rejoindre, je lui dis :
–
Il n’y a
rien de nouveau, par chez vous ?
–
Non,
répondit-il. On parle des grandes pluies de ces jours derniers, on prétend que
ça pourrait bien amener des malheurs.
En effet,
les jours précédents, il avait plu pendant soixante heures, sans discontinuer.
La Garonne était très grosse depuis la veille; mais nous avions confiance en
elle; et, tant qu’elle ne débordait pas, nous ne pouvions la croire mauvaise
voisine. Elle nous rendait de si bons services! elle avait une nappe d’eau si
large et si douce! Puis, les paysans ne quittent pas aisément leur trou, même
quand le toit est près de crouler.
–
Bah!
m’écriai-je en haussant les épaules, il n’y aura rien. Tous les ans, c’est la
même chose: la rivière fait le gros dos, comme si elle était furieuse, et elle
s’apaise en une nuit, elle rentre chez elle, plus innocente qu’un agneau. Tu verras,
mon garçon; ce sera encore pour rire, cette fois... Tiens, regarde donc le beau
temps!
Et, de la
main, je lui montrais le ciel. Il était sept heures, le soleil se couchait. Ah! que de bleu!
Le ciel n’était que du bleu, une nappe bleue immense, d’une pureté profonde, où
le soleil couchant volait comme une poussière d’or.
Émile Zola, L’inondation, in « L’inondation
et autres nouvelles », La Bibliothèque électronique du Québec, Coll. À tous
les vents, Vol.288, p.13-14,
il pleuvait jour et nuit, la rivière s’était transformée en un véritable monstre liquide, lançait dans tous les sens ses mille et un bras , le vent déboulait, dévorait tout sur son passage, le vent se voulait l’unique réalité du monde, il y avait un pont sur une rivière – dans les villages des rêves il y a toujours une rivière avec un pont au-dessus – c’était parti d’un trait , arraché par les bras furieux des eaux, un temps comme on n’en avait jamais vu, à en finir avec tout ce qui se trouvait sur son chemin, la route était vide, personne n’osait s’y aventurer pour aller au marché, on s’enfermait dans sa case, loin du vent et des eaux en furie, en attendant que tout revienne à la normale, Toi traversait la cour en courant pour aller à la cuisine, la tête enveloppée d’un tapis pour se protéger de la pluie, Makenzy hurlait pour demander son café, qu’il buvait chaud et fortement sucré, que Toi lui apportait d’habitude dans une tasse en émail placée au milieu d’un plateau circulaire en formica … il ne restera rien de ces mois de durs labeurs après le passage de la tempête, qu’il s’arrête, le mauvais temps, c’était tout ce qu’il voulait, c’était ce qu’on voulait tous, pour une fois depuis notre existence on avait voulu la même chose, le retour du soleil, Orcel pour aller voir la mer, ça faisait des jours qu’il ne l’avait pas vue, une éternité pour lui, moi pour aller sur le bord de la route guetter le passage de l’homme dont j’étais amoureuse, continuer à être rongée par l’idée d’attendre quelque chose qui n’arriverait jamais, n’était pas fait pour arriver… tandis que je m’impatientais, au même moment quelque part d’autre dans le même rêve, sur le quai d’une gare un homme embrassait une femme avec des larmes aux yeux…
¤ L'inondation d’Émile Zola, nouvelle lisible en ligne : http://beq.ebooksgratuits.com/vents/Zola-Inondation.pdf
¤ Sur l'écrivain haïtien Makenzi Orcel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Makenzy_Orcel
¤ à propos de crues : https://fr.wikipedia.org/wiki/Crue_soudaine
¤ à propos de crues : https://fr.wikipedia.org/wiki/Crue_soudaine
[1] Ce texte
reproduit fidèlement un paragraphe complet du chapitre mentionné en en
respectant de bout en bout la typographie et la ponctuation ; la narratrice, adolescente, mentionne ici son
père, Makenzy, sa mère, Toi, et son frère Orcel.
"dans les villages des rêves il y a toujours une rivière avec un pont au-dessus".
RépondreSupprimerDans les photos des rêves il y a toujours une femme, derrière la vitre de l'attente, emportée par le flot de ses pensées.