« Nella sua villa senza parafulmine, circondato di peri, e conseguentemente di pere, l'ultimo hidalgo leggeva il Fondamento della metafisica dei costumi. »
« Dans sa villa sans paratonnerres, environnée de poiriers, partant de poires, le dernier des hidalgos lisait les Fondements de la métaphysique des mœurs.»
C. E. Gadda *
- Charlus, au restaurant en compagnie de Charles Morel, privé de poire :
« Demandez au maître d’hôtel s’il a du bon chrétien. — Du bon chrétien ? je ne comprends pas. — Vous voyez bien que nous sommes au fruit, c’est une poire. Soyez sûr que Mme de Cambremer en a chez elle, car la comtesse d’Escarbagnas, qu’elle est, en avait. M. Thibaudier la lui envoie et elle dit : « Voilà du bon chrétien qui est fort beau. » — Non, je ne savais pas. — Je vois du reste que vous ne savez rien. Si vous n’avez même pas lu Molière… Hé bien, puisque vous ne devez pas savoir commander, plus que le reste, demandez tout simplement une poire qu’on recueille justement près d’ici, la louise-bonne d’avranches. — La… ? — Attendez, puisque vous êtes si gauche je vais moi-même en demander d’autres, que j’aime mieux : Maître d’hôtel, avez-vous de la doyenné des comices ? Charlie, vous devriez lire la page ravissante qu’a écrite sur cette poire la duchesse Émilie de Clermont-Tonnerre. — Non, monsieur, je n’en ai pas. — Avez-vous du triomphe de jodoigne ? — Non, monsieur. — De la virginie-dallet ? de la passe-colmar ? Non ? eh bien, puisque vous n’avez rien nous allons partir. La duchesse-d’angoulême n’est pas encore mûre ; allons, Charlie, partons.»
Marcel
Proust, Sodome et Gomorrhe, II chap. III, Folio classique p.398-399
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- Erik Satie : Trois morceaux en forme de poire (1903) pour piano à quatre mains Aldo Ciccolini et Gabriel Tacchino, piano
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- La Comtesse d'Escarbagnas se voit offrir des poires :
Scène IV : Le Vicomte (amant de Julie), la Comtesse, Julie (amante du Vicomte), Andrée (suivante de la Comtesse),
Criquet (laquais de la Comtesse).
LE VICOMTE
Madame, je viens vous avertir que la
comédie sera bientôt prête, et que, dans un quart d’heure, nous pouvons passer
dans la salle.
LA COMTESSE
Je ne veux point de cohue, au moins. (A Criquet.) Que
l’on dise à mon suisse qu’il ne laisse entrer personne.
LE VICOMTE
En ce cas, madame, je vous déclare que je
renonce à la comédie; et je n’y saurais prendre de plaisir lorsque la compagnie
n’est pas nombreuse. Croyez-moi, si vous voulez vous bien divertir, qu’on dise
à vos gens de laisser entrer toute la ville.
LA COMTESSE
Laquais, un siège.(Au Vicomte, après qu'il s'est assis) Vous voilà venu à
propos pour recevoir un petit sacrifice que je veux bien vous faire. Tenez,
c’est un billet de Monsieur Tibaudier, qui m’envoie des poires. Je vous donne
la liberté de le lire tout haut, je ne l’ai point encore vu.
LE VICOMTE, après avoir lu tout bas le billet.
Voici un billet du beau style, madame, et
qui mérite d’être bien écouté. " Madame, je n’aurais pas pu
vous faire le présent que je vous envoie, si je ne recueillais pas plus de
fruit de mon jardin, que j’en recueille de mon amour."
LA COMTESSE
Cela vous marque clairement qu’il ne se
passe rien entre nous.
LE VICOMTE continue.
" Les poires ne sont pas encore bien mûres,
mais elles en cadrent mieux avec la dureté de votre âme, qui, par ses
continuels dédains, ne me promet pas poires molles. Trouvez bon, madame, que
sans m’engager dans une énumération de vos perfections et charmes, qui me jetterait dans un progrès à l’infini, je conclue ce mot, en vous faisant
considérer que je suis d’un aussi franc chrétien que les poires que je vous
envoie, puisque je rends le bien pour le mal; c’est-à-dire, madame, pour
m’expliquer plus intelligiblement, puisque je vous présente des poires de
bon-chrétien pour des poires d’angoisse, que vos cruautés me font avaler tous
les jours."
"Tibaudier votre esclave indigne."
"Tibaudier votre esclave indigne."
Voilà, madame, un billet à garder.
LA COMTESSE
Il y a peut-être quelque mot qui n’est pas
de l’Académie ; mais j’y remarque un certain respect qui me plaît
beaucoup.
JULIE
Vous avez raison, madame, et monsieur le
Vicomte dût-il s’en offenser, j’aimerais un homme qui m’écrirait comme cela.
Scène V : Monsieur Tibaudier (conseiller, amant de la Comtesse), le Vicomte, la Comtesse, Julie, Andrée, Criquet.
LA COMTESSE
Approchez, monsieur Tibaudier, ne craignez
point d’entrer. Votre billet a été bien reçu, aussi bien que vos poires, et
voilà madame qui parle pour vous contre votre rival.
MONSIEUR TIBAUDIER
Je lui suis bien obligé, madame; et, si
elle a jamais quelque procès en notre siège, elle verra que je n’oublierai pas
l’honneur qu’elle me fait de se rendre auprès de vos beautés l’avocat de ma
flamme.
JULIE
Vous n’avez pas besoin d’avocat, Monsieur,
et votre cause est juste.
[…]
Molière, La Comtesse d'Escarbagnas (1672), in Œuvres complètes, Éditions du Seuil, l'Intégrale, p. 596
"Fauteuil de Molière dans le Malade imaginaire" |
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Notes :
* Carlo Emilio Gadda, La Connaissance de la douleur, trad. L. Bonalumi et F. Wahl, Editions du Seuil, Points n°R293, p. 53
Liens :
¤ la poire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Poire
¤ C. E. Gadda : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Emilio_Gadda
¤ La connaissance de la douleur : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=20539
¤ Erik Satie : http://www.musicologie.org/Biographies/satie.html
¤ Le fauteuil de Molière (photo personnelle) : http://www.comedie-francaise.fr/histoire-et-patrimoine.php?id=264
Morceaux de poire, morceaux de choix... Rêvons sur ces titres goguenards que Satie risque à notre oreille, dont le lobe affecte en effet la forme d'une poire micro-sillonnée. C'est qu'il est difficile d'exhiber un morceau de poire qui ne soit pas beau. Qu'on l'ait escarbagnassé au couteau et à la fourchette à hauteur de babines, ou proprement charlussé entre cristal et porcelaine, sa saveur se propose de loin par le truchement de notre humaison (humage, propose l'habile traducteur de Tolkien), avant que d'être admis en langue, papilles et glandes salivaires. Plus coquine, la marque d'adorables quenottes s'y grave en nos âmes, âmes en forme de poire. Le jus en coule jusqu'au cou - approchez-moi donc l'aiguière, cher ami !
RépondreSupprimerDes poires en forme de désespoir : Augustin d'Hippone.
RépondreSupprimer"Dans le voisinage de nos vignes était un poirier chargé de fruits qui n’avaient aucun attrait de saveur ou de beauté. Nous allâmes, une troupe de jeunes vauriens, secouer et dépouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongé nos jeux jusqu’à cette heure, selon notre détestable habitude, et nous en rapportâmes de grandes charges, non pour en faire régal, si toutefois nous y goûtâmes, mais ne fût-ce que pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui était défendu [...] j’ai aimé ma difformité ; non l’objet qui me rendait difforme, mais ma difformité même, je l’ai aimée ! Âme souillée, détachée de votre appui pour sa ruine, n’ayant dans la honte d’autre appétit que la honte !" - Les Confessions Livre II, ch.4 - Traduction de M. Moreau (1864)