« Ma seule consolation, quand je
montais me coucher, était que maman viendrait m'embrasser quand je serais dans
mon lit. Mais ce bonsoir durait si peu de temps, elle redescendait si vite, que
le moment où je l'entendais monter, puis où passait dans le couloir à double
porte le bruit léger de sa robe de jardin en mousseline bleue, à laquelle
pendaient de petits cordons de paille tressée, était pour moi un moment
douloureux. Il annonçait celui qui allait le suivre, où elle m'aurait quitté,
où elle serait redescendue. De sorte que ce bonsoir que j'aimais tant, j'en
arrivais à souhaiter qu'il vînt le plus tard possible, à ce que se prolongeât
le temps de répit où maman n'était pas encore venue. Quelquefois quand, après
m'avoir embrassé, elle ouvrait la porte pour partir, je voulais la rappeler,
lui dire « embrasse-moi une fois encore », mais je savais qu'aussitôt elle
aurait son visage fâché, car la concession qu'elle faisait à ma tristesse et à
mon agitation en montant m'embrasser, en m'apportant ce baiser de paix, agaçait
mon père qui trouvait ces rites absurdes, et elle eût voulu tâcher de m'en
faire perdre le besoin, l'habitude, bien loin de me laisser prendre celle de
lui demander, quand elle était déjà sur le pas de la porte, un baiser de plus.
Or la voir fâchée détruisait tout le calme qu'elle m'avait apporté un instant
avant, quand elle avait penché vers mon lit sa figure aimante, et me l'avait
tendue comme une hostie pour une communion de paix où mes lèvres puiseraient sa
présence réelle et le pouvoir de m'endormir. Mais ces soirs-là, où maman en
somme restait si peu de temps dans ma chambre, étaient doux encore en
comparaison de ceux où il y avait du monde à dîner et où, à cause de cela, elle
ne montait pas me dire bonsoir. »
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, Combray,
Gallimard Folio classique p.61-62
LE BAISER DU SOIR
« Dès que nous avions eu quatre ou cinq
ans, je crois, avais-je dit à Gambetti, notre mère nous avait bannis de sa
chambre, naturellement d’abord dans des chambres communes, mais tout de même
bannis, elle apparaissait tous les soirs, après que nous nous étions lavés,
pour nous donner le baiser du soir. Johannes
avait toujours réclamé avec insistance ce baiser du soir, moi je
refusais intérieurement le baiser du soir, je le détestais, même si je n’y ai
jamais échappé. Aujourd’hui encore, ma mère me poursuit en rêve avec le baiser
du soir, avais-je dit à Gambetti, elle se penche sur moi et je suis livré sans
défense à ce baiser du soir, elle appuie fortement ses lèvres sur ma joue,
comme si elle voulait me punir. Lorsqu’elle nous avait donné à tous deux le
baiser du soir, elle éteignait la
lumière, sans sortir tout de suite de la chambre, elle restait un moment
à la porte et attendait, jusqu’à ce que nous nous fussions tournés sur le côté
et endormis. Comme j’ai une ouïe exceptionnellement fine depuis mon enfance, je
savais qu’elle restait à l’écoute derrière la porte fermée, avant de descendre
au premier étage où dormaient mes parents. Elle se méfiait aussi de nous, les
enfants, je ne sais pour quelle raison, avais-je dit à Gambetti, la méfiance de
notre mère était des plus grandes, elle souffrait d’une méfiance inapaisable,
contraignante, complètement perverse dois-je dire aujourd’hui. »
Thomas Bernhard, Extinction, Un effondrement, trad. Gilberte Lambrichs, Gallimard L’Imaginaire, p.142-143
DER GUTENACHTKUSS
“Ich glaube,
schon als wir vier oder fünf Jahre alt gewesen waren, hatte ich zu Gambetti
gesagt, hatte unsere Mutter aus ihrem Zimmer verbannt, zuerst natürlich in gemeinsame
Zimmer, aber doch verbannt, sie erschien
jeden Abend, nachdem wir uns gewaschen hatten, um uns den Gutenachtkuß zu
geben. Johannes hatte immer nach ihrem Gutenachtkuß verlangt, ich hatte den
Gutenachtkuß innerlich abgelehnt, ich haßte ihn, wenngleich ich ihm auch
niemals entkommen bin. Noch heute verfolgt mich meine Mutter im Traum mit dem
Gutenachtkuß, hatte ich zu Gambetti gesagt, sie beugt sich auf mich und ich bin diesem Gutenachtkuß
wehrlos ausgeliefert, sie drückt ihre Lippen auf meine Wange, fest, wie wenn
sie mich bestrafen wollte. Hatte sie uns beide den Gutenachtkuß gegeben, löschte
sie das Licht, ohne gleich aus unserem Zimmer hinauszugehen, sie blieb eine
Weile an der Tür stehen und wartete, bis wir uns zur Seite gedreht hatten und
eingeschlafen waren. Da ich schon als Kind ein außerordentlich geschärftes
Gehör gehabt habe, wußte ich, daß sie horchend hinter der verschlossenen Tür
stand, bevor sie in den ersten Stock hinunter ging, wo meine Eltern schliefen.
Auch uns Kindern hatte sie mißtraut, ich weiß nicht, aus was für einen Grund,
hatte ich zu Gambetti gesagt, das Mißtrauen unserer Mutter ist das allergrößte gewesen,
sie litt an einem unstillbaren, unheilbaren, zwanghaften, heute muß ich sagen
durch und durch perversen“
Thomas Bernhard, Auslöschung. Ein Zerfall, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, S. 177-178.
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