dimanche 11 janvier 2015

Hommage de la plume au crayon


PARIS

Où fait-il bon même au cœur de l'orage
Où fait-il clair même au cœur de la nuit
L'air est alcool et le malheur courage
Carreaux cassés l'espoir encore y luit
Et les chansons montent des murs détruits

Jamais éteint renaissant dans sa braise
Perpétuel brûlot de la patrie
Du Point-du-Jour jusqu'au Père-Lachaise
Ce doux rosier au mois d'août refleuri
Gens de partout c'est le sang de Paris

Rien n'a l'éclat de Paris dans la poudre
Rien n'est si pur que son front d'insurgé
Rien n'est si fort ni le feu ni la foudre
Que mon Paris défiant les dangers
Rien n'est si beau que ce Paris que j'ai

Rien ne m'a fait jamais battre le cœur
Rien ne m'a fait ainsi rire et pleurer
Comme ce cri de mon peuple vainqueur
Rien n'est si grand qu'un linceul déchiré
Paris Paris soi-même libéré

Aragon, La Diane française, in La Diane française et En étrange pays dans mon pays lui-même, Seghers, 1962 p.62






                                  Beauté du ciel de l'Irak


Toi, pour ce que tu montres de limpidité, ô ciel de l'Irak, ô ciel, le meilleur des ciels,
   Regarde-moi ! Depuis longtemps t'aime mon cœur et depuis longtemps, comme lui, t'aime mon âme !
   Regarde-moi, lorsque les rossignols modulent, à l'aube, sur la cime de la ramée.
   Regarde-moi, quand le soleil a disparu, avec les yeux des astres dans les ténèbres.
   Regarde-moi, quand la créature dérobe ce qui, d'elle, émane de bruit sur la terre.
   Regarde-moi, quand la Nature est attentive, dans la sombre Nuit, au murmure de l'eau.
   Regarde-moi, alors que l'Automne paraît attristée à cause de ses arbres nus.
   Regarde-moi, quand le jardin est dépourvu de fleurs ou que celles-ci ont perdu leur éclat.
   Regarde-moi, par les fentes à l'intérieur des nuages, en secret, de ton œil bleu.

    Jamil Cidqi Az-Zahawi (1863-1936), in Les plus beaux textes arabes, présentés par Emile Dermenghem;  Editions d'Aujourd'hui, coll. Les Introuvables, 1980 p.370. *




                











                                                      
                                                                Matin


   N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or, -- trop de chance ! Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mérité ma faiblesse actuelle ? Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler !
   Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était bien l'enfer ; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.
   Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le cœur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer -- les premiers ! -- Noël sur la terre !
    Le chant des cieux, la marche des peuples ! Esclaves, ne maudissons pas la ­­vie. 
    Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer, II, Livre de Poche n°9636, pp.82-83




Notes : 
 * Texte in H. Pérès, La littérature arabe et l'Islam par les textes, XIXe et XXe siècles, 1938, p.105.  – Traduction Albert Lentin
 -  4ième photo : Festival international des jardins, "Mobiles! Des jardins pour un monde en mouvement ", à Chaumont-  sur-Loire, année 2007
Liens :
 - Louis Aragon : http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Arago
 - le poète Cidqi Az-Zahawi : http://en.wikipedia.org/wiki/Jamil_Sidqi_al-Zahawi
 - Arthur Rimbaud : http://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Rimbaud
 - Léo Ferré chante Une saison en enfer (Matin à 1:00:36) : https://www.youtube.com/watch?v=gaOfWFIJSlw
 

1 commentaire:

  1. Un beau travail de réflexion, de mise en perspective, de collage, plein de sensibilité et d'espoir...

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