mercredi 13 septembre 2017

Quand on arrive en ville








   On habite une petite ville, genre quinze mille habitants, à cheval entre la banlieue et la campagne. Chez nous, il y a trop de bitume pour qu’on soit de vrais campagnards, mais aussi trop de verdure pour qu’on soit de vraies cailleras. Tout autour, ce sont villages, hameaux, bourgs, séparés par des champs et des forêts. Au regard des villages qui nous entourent, on est des citadins par ici, alors qu’au regard de la grande ville, située à un peu moins de cent kilomètres de là, on est des culs-terreux. Personnellement je n’y connais rien en agriculture.
   Un affluent coupe la ville en deux. Le courant remonte du sud vers le nord,  vers la grande ville. La rive est, c’est là qu’il y a les deux cités, les Tours situées sur la colline et les Bâtiments, plus loin, avec le commissariat entre les deux, et puis l’hôpital, la cité scolaire, l’autoroute, la zone d’activité commerciale avec ses magasins tout flingués, ses tout à dix balles et ses marchés discount. La rive ouest, c’est le centre-ville dès qu’on passe le pont, l’église, une place, quelques cafés, des commerces en difficulté, et puis les rues adjacentes. Ils ont fermé la librairie récemment. Autour d’ici c’est agricole et ouvrier. Ça implique  que dans le centre il y ait autant d’agences d’intérim que de boulangeries. Après le centre-ville, on passe le canal, et puis c’est la gare, et les quartiers résidentiels, articulés autour de la mairie, la piscine municipale, le stade, le collège privé, le supermarché. Et tout au bout, une autre colline qui fait face à l’autre, sauf qu’à défaut d’une cité de tours on y trouve des maisons luxueuses. A l’ouest, il y a plusieurs lotissements comme celui dans lequel j’ai grandi et où je vis toujours.                                    
    David Lopez, Fief, Seuil (2017), p. 57-58.


"La Bouleaunière" où Mme de Berny reçut Balzac dans les années 1830 *

   En entrant à Nemours du côté de Paris, on passe sur le canal du Loing, dont les berges forment à la fois de champêtres remparts et de pittoresques promenades à cette jolie petite ville. Depuis 1830, on a malheureusement bâti plusieurs maisons en deçà du pont. Si cette espèce de faubourg s’augmente, la physionomie de la ville y perdra sa gracieuse originalité. Mais, en 1829, les côtés de la route étant libres, le maître de poste, grand et gros homme d’environ soixante ans, assis au point culminant de ce pont, pouvait, par une belle matinée, parfaitement embrasser ce qu’en termes de son art on nomme un ruban de queue. Le mois de septembre déployait ses trésors, l’atmosphère flambait au-dessus des herbes et des cailloux, aucun nuage n’altérait le bleu de l’éther dont la pureté partout vive, et même à l’horizon, indiquait l’excessive raréfaction de l’air. Aussi, Minoret-Levrault, ainsi se nommait le maître de poste, était-il obligé de se faire un garde-vue avec une de ses mains pour ne pas être ébloui. En homme impatienté d’attendre, il regardait tantôt les charmantes prairies qui s’étalent à droite de la route et où ses regains poussaient, tantôt la colline chargée de bois qui, sur la gauche, s’étend de Nemours à Bourron. Il entendait dans la vallée du Loing, où retentissaient les bruits du chemin repoussés par la colline, le galop de ses propres chevaux et les claquements de fouet de ses postillons. Ne faut-il pas être bien maître de poste pour s’impatienter devant une prairie où se trouvaient des bestiaux comme en fait Paul Potter, sous un ciel de Raphaël, sur un canal ombragé d’arbres dans la manière d’Hobbema ? Qui connaît Nemours sait que la nature y est aussi belle que l’art, dont la mission est de la spiritualiser : là, le paysage a des idées et fait penser.
  
   Honoré de Balzac, Ursule Mirouët, La Comédie humaine, Bibliothèque de la Pléiade, t. III, p.769-770
               
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Notes :
    * la Boulonnière est située à Grez-sur-Loing, hameau du Hulay, entre Fontainebleau et Nemours (D.607, ex N.7)
Liens :

    ¤ Honoré de Balzac, Ursule Mirouët à lire en ligne : https://beq.ebooksgratuits.com/balzac/Balzac-25.pdf
    ¤ à propos de Laure de Berny, "inspiratrice et amante" de Balzac : https://fr.wikipedia.org/wiki/Laure_de_Berny

    ¤ une analyse intéressante du roman de David Lopez : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/08/22/communaute-batarde/

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