vendredi 21 novembre 2025

L'arbre et le langage.

 J'escaladai un talus et m'allongeai sous un arbre. C'était un peuplier ou un aulne. Pourquoi n'en ai-je pas retenu l'espèce? Parce que, tandis que ej contemplais sa frondaison et suivais son mouvement, d'un coup l'arbre s'empara du langage en moi, de sorte qu'encore une fois s'accomplit en ma présence le rite antique des noces de l'arbre et du langage. Les branches, et la cime avec elles, balançaient le pour et le contre, ou bien déclinaient avec hauteur; les rameaux ne cachaient pas leur inclination et leur extrême inaccessibilité; le feuillage, sous l'âpre caresse d'un courant d'air, se hérissait, frémissait de toutes ses feuilles ou faisait le gros dos; le tronc campait sur ses positions, et une feuille prenait ombrage d'une autre. Un vent léger jouait un air nuptial et aussitôt, en paroles imagées, dispersa aux quatre coins du monde les rejetons tôt jaillis de cette union.

Walter Benjamin, Brèves ombres, trad. Maurice de Gandillac, revue par Pierre Rusch, in Œuvres II p.350, Folio essais, 2000.