Léo Ferré chante pour passer le temps
Ne plus rien vouloir. Attendre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre. Traîner, dormir. Te laisser porter par les foules, par les rues. Suivre les caniveaux, les grilles, l'eau le long des berges. Longer les quais, raser les murs. Perdre ton temps. Sortir de tout projet, de toute impatience. Être sans désir, sans dépit, sans révolte.
Georges Perec, Un homme qui dort (1967), 10/18, p.65
J'ai un dictionnaire tout à fait personnel ; je « passe »
le temps, quand il est mauvais et désagréable ; quand il est bon, je ne veux
pas le « passer », je le goûte à nouveau, je m'y arrête. Il faut « passer » le
mauvais en courant et s’arrêter au bon. Cette expression ordinaire de « passe-temps »
et de « passer le temps » caractérise la conduite habituelle de ces
sages personnes qui ne pensent pas avoir une meilleure utilisation de leur vie
que de la [laisser] couler et échapper, de la passer, de l’esquiver et, autant
qu'ils le peuvent, de l’ignorer et de la fuir comme une chose de nature pénible
et dédaignable. Mais moi, je sais que [la vie] est tout autre et je la trouve
estimable et avantageuse, même dans la dernière phase de son cours déclinant où
je la possède [en ce moment], et [la] Nature nous l’a mise en main garnie de
telles - et si favorables - particularités que nous n'avons à nous plaindre
qu'à nous si elle nous pèse et si elle nous échappe inutilement. "La vie du
sot est sans joie, agitée, entièrement tournée vers l’avenir." Je règle
pourtant ma conduite de manière à la perdre sans regret, mais en considérant qu’elle
est perdable de par sa nature, non qu’elle est pénible et insupportable. Aussi
ne convient-il parfaitement de ne pas
être mécontents de mourir qu'à ceux qui sui sont contents de vivre. Il y a de la
sagesse à jouir de la vie; j’en jouis au double des autres car le degré de
grandeur dans la jouissance dépend du plus ou moins d'application que nous y apportons.
Spécialement à l’heure actuelle où j'aperçois la mienne si brève en temps, je veux
l’étendre en poids; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la
promptitude de ma prise et, par la vigueur de l'usage [que j’en ferai]
compenser la hâtive rapidité de son écoulement : à mesure que la
possession de la vie est plus courte, il faut que je la rende plus profonde et
plus pleine.
Montaigne, Les Essais,
L.III, chap.13 (adaptation en français moderne, André Lanly), Quarto Gallimard p.141-1342
Il y a mille manières de tuer le temps et aucune ne ressemble à l'autre, mais elles se valent toutes, mille façons de ne rien attendre, mille jeux que tu peux inventer et abandonner tout de suite.Georges Perec, ibid. p.68
Jean Ferrat ne chante pas pour passer le temps
Notes :
¤ Album Les chansons d'Aragon chantées par Léo Ferré, 1961
¤ Jean Ferrat, Je ne chante pas pour passer le temps, 1965
Liens :
¤ à lire, si vous avez le temps, à propos de la notion de temps https://fr.wikipedia.org/wiki/Temps
Sortir de toute impatience... Des mots qui font naître des images de grands espaces, de liberté, et qui, aussi, font redouter l'art de la patience comme un art de ne plus être au coeur de la vie. Merci Georges Pérec
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