mardi 5 décembre 2017

Colline, colline



   Ils distinguaient maintenant tous les deux dans l’obscurité la silhouette sombre des choses.
   Appuyés contre le mur rugueux de l’étable, ils avaient devant eux en bas l’étendue sombre de l’aire, fermée au fond par le petit mur de pierre sèche qui soutenait le premier champ en terrasse couronné de mûriers noirs. Derrière les mûriers, la colline immense, proéminente, ne se révélait que comme une absence d’étoiles, une zone déserte du ciel. Un souffle de brise, vivifiant, agitait l’odeur âpre et lourde de la nuit et les feuilles l’accompagnaient d’un chuintement étouffé.
-          « Je vais m’asseoir ici, fit le Professeur. J’attends l’aube. » Et appuyé contre la pompe, il planta sa pipe dans sa bouche. « De toute façon, ça ne va pas tarder. »

   Cesare Pavese, Nuit de fête, in "L’idole et autres récits", trad. P. Laroche, Folio bilingue, p.97 et 99




   Ormai tutti e due distinguevano nel buio le sagome scure delle cose.
   Appoggiati contro la parete sassosa della stalla, avevano innanzi la bassa distesa dell’aia, oscurata in fondo dalla muriccia del primo campo rialzato che i gelsi, neri, coronavano. Di là dai gelsi, la collina immensa, saliente, si rivelava soltanto come un vuoto di stelle, una plaga del cielo deserta. Una bava di brezza agitava, stimolante, l’aspro tanfo notturno e le foglie accompagnavano sommesse, cigolando.
-          Io siedo qua, - fece il Professore. - Aspetto l’alba -. E si cacciò la pipa in bocca, poggiato alla pompa. – Tanto no può tardare.

   Cesare Pavese, Notte di festa, in “L’idolo e altri racconti”, Folio bilingue, p.96 et 98






   Il vit une colline abrupte à l’horizon. La colline était noire et jaune foncé. Il supposa qu’au-delà se trouvait le désert. Il eut envie de sortir et de se diriger vers la colline, mais lorsqu’il se retourna vers la table la femme avait posé une bière et une sorte de sandwich très épais. Il prit une bouchée et il le trouva bon. Le goût était curieux, un peu épicé. Il souleva par curiosité l’un des morceaux de pain : dans le sandwich il y avait de tout. Il but une grande gorgée de bière et s’étira sur la chaise. Entre les feuilles de la treille, il distingua une abeille immobile. Deux fins rayons de soleil tombaient à la verticale sur le sol en terre. Lorsque l’homme réapparut, il lui demanda comment on allait jusqu’à la montagne là-bas. L’homme se mit à rire. Il dit quelques mots qu’il ne comprit pas et ensuite il dit « non beau », plusieurs fois.
            - Non beau ?
            Non beau, dit l’homme, et il se remit à rire.
   Ensuite il le prit par le bras et l’entraina jusqu’à une pièce qui servait de cuisine et que Fate trouva très ordonnée, chaque chose à sa place, les carreaux blancs du mur sans trace de gras, et il lui montra le seau d’ordures.
              - La colline non beau ? dit Fate.
  L’homme rit de nouveau.
             - La colline ce sont des ordures ?
   L’homme ne cessait de rire. Sur l’avant-bras gauche, il avait un oiseau tatoué. Pas un oiseau en vol, comme le sont d’habitude les tatouages de ce genre, mais un oiseau posé sur une branche, un petit oiseau, sans doute un moineau.
          -  La colline est une décharge d’ordures ?
 L’homme rit de plus belle et remua la tête affirmativement.                                       
             Roberto Bolaño, 2666, trad. de l’espagnol (Chili) par R. Amutio, Folio, p.465-466




  Liens :
   ¤ à propos de Roberto Bolaño (Santiago 1953, Barcelone 2003) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Roberto_Bola%C3%B1o

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