Prague. Annonce pour Le Mariage de N.Gogol. Ph.au mur: V. Kronbauer. |
[…] Mais maintenant
que l’illumination avait commencé, elle embrasait jusqu’au zénith, et ce qu’à
présent il [John Marcher] demeurait à contempler, c’était, sondé d’un coup, le
vide de sa vie.
Il demeurait l’œil
perdu, haletant, atterré ; en sa consternation, il se détourna et ce
mouvement plaça devant lui, gravée en signes plus aigus que jamais, la page
ouverte de son histoire. Le nom inscrit sur la pierre le frappa du même choc
que le passage de son voisin [i] ;
et ce que ce nom lui dit, il le lui dit en pleine face : c’était elle la chose manquée. C’était là
l’horrible pensée, la réponse à tout le passé, la vision dont la terrifiante
clarté le glaçait du même froid que la pierre couchée à ses pieds. Tout tombait
à la fois, confessé, expliqué, mis en pièces, le laissant pardessus tout
stupéfait devant l’aveuglement qu’il avait chéri. Le destin pour lequel il
avait été marqué, il l’avait rencontré, il avait vidé la coupe jusqu’à la
lie ; il avait été l’homme à qui rien ne doit jamais arriver. C’était là
le coup rare ; ce fut là sa visitation. Ainsi vit-il, en grande détresse
et agonie, son destin se reconstituer pièce à pièce. Ainsi elle avait vu, elle,
tandis que lui ne voyait pas ; ainsi c’était elle qui lui rapportait fidèlement le mot de
l’énigme. Tout au long de son attente, l’attente même devait être son
lot : tel était, vivant et monstrueux, ce mot. Cela, sa campagne l’avait à
un moment découvert et elle lui avait offert la chance de duper son destin.
Mais l’on ne dupe jamais son destin. Et le jour où elle lui avait dit que le
sien allait rendre son arrêt, elle ne le vit que béer stupidement devant
l’issue qu’elle lui offrait.
L’aimer, voilà
quelle eût été l’issue, alors, alors il aurait vécu.
Henri James, La Bête dans la jungle, trad. de Marc Chadourne, in L'Élève, et autres nouvelles, 10/18 no 147, 1983
[i]
« Son voisin de l’autre tombe… » : « L’étranger avait
passé, mais la violence aveuglante de sa douleur demeurait, obligeant notre ami
à se demander quel grief, quelle blessure en étaient la cause, quelle injustice
impossible à réparer. Qu’est-ce donc que cet homme avait eu dans sa vie, dont
la perte pouvait le faire ainsi saigner et pourtant vivre ? » (p.173
puis 174)
Mural de Smug, Glasgow (ph. perso.) |
Now that the illumination had begun, however, it blazed to the zenith, and what he presently stood there gazing at was the sounded void of his life.
He gazed, he drew breath, in pain; he turned in his dismay, and, turning, he had before him in sharper incision than ever the open page of his story. The name on the table smote him as the passage of his neighbour had done, and what it said to him, full in the face, was that she was what he had missed. This was the awful thought, the answer to all the past, the vision at the dread clearness of which he turned as cold as the stone beneath him. Everything fell together, confessed, explained, overwhelmed; leaving him most of all stupefied at the blindness he had cherished. The fate he had been marked for he had met with a vengeance—he had emptied the cup to the lees; he had been the man of his time, the man, to whom nothing on earth was to have happened. That was the rare stroke—that was his visitation. So he saw it, as we say, in pale horror, while the pieces fitted and fitted. So she had seen it while he didn’t, and so she served at this hour to drive the truth home. It was the truth, vivid and monstrous, that all the while he had waited the wait was itself his portion. This the companion of his vigil had at a given moment made out, and she had then offered him the chance to baffle his doom. One’s doom, however, was never baffled, and on the day she told him his own had come down she had seen him but stupidly stare at the escape she offered him.
The escape would have been to love her; then, then he would have lived.
Henry James, The beast in the jungle. The Project Gutenberg eBook
Jusqu’au jour où, soudain, Stefano prit conscience qu’il était devenu
vieux, très vieux ;
et personne de son entourage ne
pouvait s’expliquer pourquoi, riche comme il était,
il n’abandonnait pas enfin cette
damnée existence de marin. Vieux et amèrement
malheureux, parce qu’il avait usé
son existence entière dans cette fuite insensée à
travers les mers pour fuir son
ennemi. Mais la tentation de l’abîme avait été plus forte
pour lui que les joies d’une vie
aisée et tranquille.
Et un
soir, tandis que son magnifique navire était ancré au large du port où
il était né, il sentit sa fin prochaine. Alors il appela le capitaine,
en qui il avait une totale confiance, et lui enjoignit de ne pas
s’opposer à ce qu’il allait tenter. L’autre, sur l’honneur, promit.Ayant obtenu cette assurance, Stefano révéla alors au capitaine qui l’écoutait bouche bée, l’histoire du K qui avait continué de le suivre pendant presque cinquante ans, inutilement.
- Il m’a escorté d’un bout à l’autre du monde, dit-il, avec une fidélité que même le plus noble ami n’aurait pas témoignée. Maintenant je suis sur le point de mourir. Lui aussi doit être terriblement vieux et fatigué. Je ne peux pas tromper son attente.
Ayant dit, il prit congé, fit descendre une chaloupe à la mer et s’y installa après s’être fait remettre un harpon.
- Maintenant, je vais aller à sa rencontre, annonça-t-il. Il est juste que je ne le déçoive pas. Mais je lutterai de toutes mes dernières forces.
A coups de rames il s’éloigna. Les officiers et les matelots le virent disparaître là-bas, sur la mer placide, dans les ombres de la nuit. Au ciel il y avait un croissant de lune.
Il n’eut pas à ramer longtemps. Tout à coup le mufle hideux du K émergea contre la barque.
- Je me suis décidé à venir à toi, dit Stefano. Et maintenant, à nous deux !
Alors, rassemblant ses dernières forces, il brandit le harpon pour frapper.
- Bouhouhou ! mugit d’une voix suppliante le K. Quel long chemin j’ai dû parcourir pour te trouver ! Moi aussi je suis recru de fatigue... Ce que tu as pu me faire nager ! Et toi qui fuyais, fuyais... dire que tu n’as jamais rien compris !
- Compris quoi ? fit Stefano piqué
- Compris que je ne te pourchassais pas autour de la terre pour te dévorer comme tu le pensais. Le rois des mers m’avait seulement chargé de te remettre ceci. ‘
Et le squale tira la langue, présentant au vieux marin une petite sphère phosphorescente.
Stefano la prit entre ses doigts et l’examina. C’était une perle d’une taille phénoménale. Et il reconnut alors la fameuse Perle de la Mer qui donne à celui qui la possède fortune, puissance, amour, et paix de l’âme. Mais il était trop tard désormais.
- Hélas ! dit-il en hochant la tête tristement. Quelle pitié ! J’ai seulement réussi à gâcher mon existence et la tienne...
- Adieu, adieu mon pauvre homme , répondit le K.
Et il plongea à jamais dans les eaux noires.
Dino Buzzati. Le K., trad. J. Remillet, Livre de poche bilingue, p.33 sq.
Finché, all’improvviso, Stefano un giorno si accorse di essere diventato
vecchio,
vecchissimo; e
nessuno intorno a luisapeva spiegarsi perché, ricco com’era, non
lasciasse
finalmente la dannata vita del mare. Vecchio, e amaramente infelice,
perché
l’intera
esistenza sua era stata spesa in quella specie di pazzesca fuga attraverso i
mari,
per sfuggire
al nemico. Ma più grande che le gioie di una vita agiata e tranquilla
era stata per
lui sempre la tentazione dell’abisso.
E una sera, mentre la sua magnifica nave era ancorata al largo dei porto dove era nato,
E una sera, mentre la sua magnifica nave era ancorata al largo dei porto dove era nato,
si sentì
prossimo a morire.Allora chiamò il secondo ufficiale, di cui aveva grande
fiducia,
e gli ingiunse
di non opporsi a ciò che egli stava per fare. L’altro, sull’onore, promise.
Avuta questa assicurazione, Stefano, al secondo ufficiale che lo ascoltava sgomento,
Avuta questa assicurazione, Stefano, al secondo ufficiale che lo ascoltava sgomento,
rivelò la
storia del colombre,che aveva continuato a inseguirlo per quasi cinquant’anni,
inutilmente.
- « Mi ha scortato da un capo all’altro del mondo » disse « con una fedeltà che
- « Mi ha scortato da un capo all’altro del mondo » disse « con una fedeltà che
neppure
il più nobile amico avrebbe potuto dimostrare. Adesso io sto per morire.
Anche lui,
ormai, sarà terribilmente vecchio e stanco. Non posso tradirlo. »
Ciò detto, prese commiato, fece calare in mare un barchino e vi salì, dopo
Ciò detto, prese commiato, fece calare in mare un barchino e vi salì, dopo
essersi fatto
dare un arpione.
- « Ora gli
vado incontro » annunciò. « E’ giusto che non lo deluda. Ma lotterò,
con le mie
ultime forze. » A stanchi colpi di remi, si allontanò da
bordo. Ufficiali e marinai lo
videro
scomparire laggiù, sul placido mare, avvolto dalle ombre della notte.
C’era in cielo
una falce di luna.
Non dovette faticare molto. All’improvviso il muso orribile del colombre emerse
Non dovette faticare molto. All’improvviso il muso orribile del colombre emerse
di fianco alla
barca.
- « Eccomi a te, finalmente » disse Stefano. « Adesso, a noi due! » E,
- « Eccomi a te, finalmente » disse Stefano. « Adesso, a noi due! » E,
raccogliendo
le superstiti energie, alzò l’arpione per colpire.
- « Uh » mugolò con voce supplichevole il colombre « che lunga strada per
- « Uh » mugolò con voce supplichevole il colombre « che lunga strada per
trovarti.
Anch’io sono distrutto dalla fatica. Quanto mi hai fatto nuotare. E
tu fuggivi,
fuggivi. E non hai mai capito niente. »
- « Perché? » fece Stefano, punto sul vivo. «
Perché non ti ho inseguito attraverso
il mondo per
divorarti, come pensavi. Dal re del mare avevo avuto soltanto l’incarico
di consegnarti
questo. »
E lo squalo trasse fuori la lingua, porgendo
al vecchio capitano una
piccola sfera
fosforescente.
Stefano la prese fra le dita e guardò. Era una perla di grandezza spropositata.
Stefano la prese fra le dita e guardò. Era una perla di grandezza spropositata.
E lui
riconobbe la famosa Perla del Mare che dà, a chi la possiede, fortuna,
potenza,
amore, e pace dell’animo. Ma era ormai troppo tardi.
- « Ahimè! » disse scuotendo tristemente il capo.
- « Come è tutto sbagliato. Io sono riuscito a dannare la mia esistenza: e ho
- « Ahimè! » disse scuotendo tristemente il capo.
- « Come è tutto sbagliato. Io sono riuscito a dannare la mia esistenza: e ho
rovinato la
tua. »
- « Addio, pover’uomo » rispose il colombre. E sprofondò nelle acque nere per
- « Addio, pover’uomo » rispose il colombre. E sprofondò nelle acque nere per
sempre.
Dino Buzzati. Il Colombre, Livre de poche bilingue, p.32 sq
Dino Buzzati. Il Colombre, Livre de poche bilingue, p.32 sq
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Références :
A propos de la nouvelle de H. James :
- texte de la nouvelle en anglais : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_B%C3%AAte_dans_la_jungle
A propos du conte de D. Buzzati :
- texte du conte en français : http://www.botgeo.be/textes/Le_k_buzzatti.pdf
- texte du conte en italien : http://parliamoitaliano.altervista.org/il-colombre/
- lecture du conte en italien : https://www.youtube.com/watch?v=PrQ1nmQwmfY
Je découvre, tous en même temps, tes derniers posts... Super, les photos ! Liberté, paradoxes, humour et une belle dynamique (mural de Smug)...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cette page
RépondreSupprimerLe K m'a toujours poursuivi. Je ne l'ai jamais vu, bien que je me sois fait marin dans ce but. Si tu ne l'as jamais vu, comment sais-tu qu'il te poursuit ? m'a demandé M. Tu verras ! lui ai-je répondu, ïl n'a pas dit son dernier mot ! A dire le vrai, il n'as pas encore dit un mot. Mais les peres ! Il faut memoriser les paroles des pères. Et ça,,
RépondreSupprimerC'est difficile.