mercredi 6 avril 2016

Arbre à sa fenêtre

" Le mois passé, ma chambre, rue Monsieur-le-Prince,
donnait sur un jardin du lycée Saint-Louis. Il y avait
des arbres énormes sous ma fenêtre étroite."
A. Rimbaud *


                                        LA DEUXIÈME CHAMBRE
L'érable qui frémit devant notre fenêtre
Est comme une autre chambre où nous ne pénétrons
Qu’au moment de dormir et dans les environs
Du rêve, quand il est malaisé de connaître
Ce qui distingue l’âme et le corps, et la nuit.
Alors nous devenons peu à peu ce feuillage
Qui chuchote sans cesse et peut-être voyage
Avec notre sommeil qu’il héberge et conduit
Dans la profondeur même où les racines plongent,
Où vague sous le vent le sommet des rameaux.
Nous dormons, l’arbre veille, il écoute les mots
Que murmure en dormant l’arbre confus des songes.

   Jacques Réda, Retour au calme, poèmes. Nrf  Gallimard 1989, p.138



   Toute la journée, dans cette demeure de Tansonville un peu trop campagne qui n'avait l'air que d'un lieu de sieste entre deux promenades ou pendant l'averse, une de ces demeures où chaque salon a l'air d'un cabinet de verdure, et où sur la tenture des chambres les roses du jardin dans l'une, les oiseaux des arbres dans l'autre, vous ont rejoints et vous tiennent compagnie - isolés du moins - car c'étaient de vieilles tentures où chaque rose était assez séparée pour qu'on eût pu si elle avait été vivante la cueillir, chaque oiseau le mettre en cage et l'apprivoiser, sans rien de ces grandes décorations des chambres d'aujourd'hui où sur un fond d'argent, tous les pommiers de Normandie sont venus se profiler en style japonais pour halluciner les heures que vous passez au lit ; toute la journée, je la passais dans ma chambre qui donnait sur les belles verdures du parc et les lilas de l'entrée, les feuilles vertes des grands arbres au bord de l'eau, étincelants de soleil, et la forêt de Méséglise. Je ne regardais en somme tout cela avec plaisir que parce que je me disais :    «  C'est joli d'avoir tant de verdure dans la fenêtre de ma chambre », jusqu'au moment où dans le vaste tableau verdoyant je reconnus, peint lui au contraire en bleu sombre, simplement parce qu'il était plus loin, le clocher de l'église de Combray. Non pas une figuration de ce clocher, ce clocher lui-même, qui, mettant ainsi sous mes yeux la distance des lieues et des années, était venu, au milieu de la lumineuse verdure et d'un tout autre ton, si sombre qu'il paraissait presque seulement dessiné, s'inscrire dans le carreau de ma fenêtre.
   Marcel Proust,  Le Temps retrouvé, Gallimard, Folio classique p.3 et 4



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Notes :
   *  Arthur Rimbaud, Lettre à Ernest Delahaye de juin 1972, signée "A. R. Rue Victor-Cousin, Hôtel de Cluny", in "Poésies complètes", Livre de Poche n°9635, p.245

Liens :
   ¤ à propos de l'érable https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89rable
   ¤ la commune "proustienne" d'Illiers -Combray : https://fr.wikipedia.org/wiki/Illiers-Combray 


3 commentaires:

  1. L'arbre construit mon bien - ce rien sans quoi
    mon être vole - le rassemblant comme branches et
    oiseaux, dressant en son ombre mon ombre.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Magnifique photo qui transforme les barreaux en branchages. Je me réveille dans la deuxième chambre et je deviens ce feuillage.

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